II. La part critique et sauvage

Durant le siècle dernier, les figures traditionnelles de l’autorité, de la culture humaniste et religieuse occidentale se sont trouvées confrontées à une critique radicale qui représente, qu’on le veuille ou non, une autre part de notre culture qu’on ne saurait sous-estimer. Le nihilisme, la révolte sauvage, la passion et l’utopie révolutionnaire ont marqué le siècle dernier en Europe et dans le monde. La critique ne s’est pas seulement élevée contre l’hypocrisie et le moralisme, contre les injustices sociales, le colonialisme et les guerres mondiales. Elle s’est également portée contre l’humanisme, la morale et la religion en les rendant directement responsables des barbaries et des malheurs du monde. Les figures de l’artiste et de l’intellectuel en révolte contre l’ordre établi ont croisé celle du militant révolutionnaire en appelant à faire table rase du passé et à reconstruire une humanité nouvelle. La critique du totalitarisme a montré les effets dévastateurs d’une telle perspective. Mais peut-on dire pour autant que les leçons en aient été véritablement tirées ? Si la conception d’une histoire en marche vers une société et une humanité réconciliée avec elle-même a fait long feu, les figures de la révolte et de l’artiste maudit, l’idée d’un monde en rupture radicale avec l’existant ont-elles pour autant disparu ? Quelles en sont les formes nouvelles ?
Poursuivant la réflexion entamée l’an dernier, il nous a donc semblé important : 
 

  • de mieux cerner la part critique et sauvage de notre héritage, 
  • de s’interroger sur la persistance et les formes qu’elle peut prendre aujourd’hui, 
  • d’en tirer les leçons du point de vue de la culture humaniste et de la morale. 

Nous proposons d’examiner plus particulièrement deux grands acteurs de la révolte artistique et intellectuelle : le mouvement surréaliste et Georges Bataille. Le surréalisme entendait « changer la vie » et « réconcilier Marx et Rimbaud » ; la pensée de Georges Bataille accorde quant à elle une place décisive à l’expérience de la transgression et de la démesure, reconnaît le mal et la barbarie comme constitutifs de l’humain. Chacun à leur manière, ces deux courants de pensée ont rencontré la politique dans une optique révolutionnaire qui a mené à l’impasse. Leurs idées n’en ont pas moins été transmises sous des formes banalisées et il importe d’en repérer les traces jusqu’à aujourd’hui. L’analyse et la prise en compte de cette part critique et sauvage de notre héritage devraient permettre d’éclairer la question qui est au cœur de notre réflexion : quel humanisme et quelle morale pour notre temps ?

Programme-Séances

Samedi 15 novembre : « Quelles critiques de la morale et de la culture ? » Cette première séance vise à mieux connaître les critiques portées sur la morale et la culture humaniste par différents auteurs. Dans ce cadre, on procédera à une lecture et à un débat autour d’extraits de textes de Nietzsche, du dadaïsme et du surréalisme, de Georges Bataille, de Trotsky.

  • Samedi 13 décembre : « De l’idéologie du surréalisme et de ses conséquences sur la société », par Jean Clair, conservateur général du patrimoine et directeur du musée Picasso à Paris. Il est notamment l’auteur de Du surréalisme considéré dans ses rapports au totalitarisme et aux tables tournantes, édit. Mille et une nuits, 2003, La responsabilité de l’artiste. Les Avant-gardes entre terreur et raison, Gallimard, 1997.
  • Samedi 17 janvier : « La politique de l’impossible : désir de révolution et part maudite chez Georges Bataille » par Jean-Michel Besnier, professeur à l’université Paris-IV, auteur notamment de La politique de l’impossible. L’intellectuel entre révolte et engagement, édit. La Découverte, 1988, et de Éloge de l’irrespect et autres écrits sur Georges Bataille, édit. Descartes et Cie, 1998.
  • Samedi 7 février : « Pour une nouvelle morale laïque » par Jean Baubérot, professeur à l’École pratique des hautes études, directeur du groupe de sociologie des religions et de la laïcité (CNRS-EPHE), auteur, entre autres, de La Morale laïque contre l’ordre moral, édit. du Seuil, 1997, et Vers un nouveau pacte laïque, édit. du Seuil, 1990.
  • Samedi 6 mars : « Épuisement historique et renouvellement des figures de la révolte et de la révolution ? » par Jean-Pierre Le Goff, auteur notamment de Mai 68 l’héritage impossible, édit. La Découverte, 1998 et de La démocratie post-totalitaire, édit. La Découverte, 2003.
  • Samedi 3 avril : « Quelles leçons tirer de cet héritage critique ? Quel humanisme pour notre temps ? » Bilan du séminaire et débat.

Lectures recommandées

Surréalisme

  • André Breton, Manifestes du surréalisme (1924 et 1930), Folio-actuel 1995.
  • André Breton, Point du jour, (1934), Idées-Gallimard 1970.
  • Jean Clair, Du surréalisme considéré dans ses rapports au totalitarisme et aux tables tournantes, édit. Mille et une nuits, 2003.
  • Jean Clair, « Sur Marcel Duchamp et la fin de l’art », Gallimard, 2000.
  • Jean Clair, La responsabilité de l’artiste. Les Avant-gardes entre terreur et raison, Gallimard, 1997.
  • Voir aussi Régis Debray, L’honneur des funambules. Réponse à Jean Clair sur le surréalisme, L’Échoppe, 2003.

Georges Bataille

  • Georges Bataille, La littérature et le mal (1957), Folio-essais 1990.
  • Georges Bataille, L’érotisme (1957), éditions de Minuit 1995.
  • Jean-Michel Besnier, La politique de l’impossible. L’intellectuel entre révolte et engagement, La Découverte, 1988.
  • Jean-Michel Besnier, Éloge de l’irrespect et autres écrits sur Georges Bataille, Descartes et Cie, 1998.
  • Voir aussi de Jean-Michel Besnier, L’humanisme déchiré, Descartes et Cie, 1993.

Morale laïque

  • Jean Baubérot, Histoire de la laïcité française, PUF, 2000.
  • Marie-Claude Blais, Au principe de la République. Le cas Renouvier, Gallimard, 2000.
  • Jean Baubérot, La Morale laïque contre l’ordre moral, Seuil, 1997.
  • Jean Baubérot, Michel Morineau, Vers un nouveau pacte laïque, Seuil, 1990.

Mai 68 et « mouvement social »

  • Raoul Vaneigem, Traité du savoir-vivre à l’usage des jeunes générations (1967), Folio-actuel, 1992.
  • Guy Debord, La société du spectacle, (1967), Champ Libre, 1971.
  • Nous sommes en marche, Manifeste d’action Censier, Seuil, 1968.
  • Jean-Pierre Le Goff, Mai 68 l’héritage impossible, La Découverte, édit. 2003 avec Postface.
  • Jean-Pierre Le Goff, La démocratie post-totalitaire, édit. La Découverte, 2003.
  • Voir aussi Jean-Pierre Le Goff, « Hypothèses pour comprendre le chaos ambiant », Le Débat, n° 126, septembre-octobre 2003, « Permanence et métamorphoses du trotskisme », dans Études, décembre 2003.