« L’enfant, pour approcher la situation historiquement inédite du moi adolescent, n’est plus celui qui revient chaque année, comme reviennent les saisons, les moissons et les cueillettes, avec leurs inconnues climatiques qui font les bonnes et les mauvaises années ; plus exactement, pour tenir compte de la moyenne des espaces intergénésiques, il n’est plus celui qui revient touts les deux ou trois ans. Il n’est plus l’enfant qui tombe avec régularité, comme les grandes marées ou les années bissextiles. Il n’est plus celui qui prend place, après d’autres et avant d’autres, dans une fratrie que la mort éclaircira. Il est celui-ci et pas un autre, l’enfant du désir, l’enfant choisi, pour toujours, et il veut se l’entendre dire, directement ou de façon contournée, mais transparente ; il n’est guère de jour où il ne tente de le vérifier, comme il n’est guère de jour où la mère, plus encore que le père, ne s’emploie à le lui faire savoir, à le lui montrer (bien souvent c’est la mère qui dira ou suggérera à l’enfant que son père l’aime, qu’il l’a désiré). Comment ? Chaque geste, chaque mot, chaque attitude repose la question, le plus souvent de façon implicite, contient cet enjeu. Les parents sont loin de toujours réaliser que chacun de leurs actes repose la question de confiance, est susceptible d’être interpété dans un sens ou dans l’autre par l’enfant qui guette en permanence dans l’échange symbolique de la relation quotidienne un élément possible de réponse à cette question : « Ai-je vraiment été désiré ? » » Paul YONNET, Le recul de la mort. L’avènement de l’individu contemporain, Gallimard, 2006, p.342 – 343
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