« Nous savons que la raison n’épuise pas la vie et même le meilleur de la vie ; nous savons que les instincts et les inconscients sont d’un être plus profondément existant sans doute. Nous estimons à leur valeur les pensées confuses, les impressions, les pensées obscures, les sentiments et même les sensations. Mais nous demandons que l’on n’oublie pas que la raison est pour l’humanité la condition rigoureusement indispensable. Nous ne pouvons sans la raison estimer à sa juste valeur tout ce qui n’est pas de la raison. Et la question même de savoir ce qui revient à la raison et ce qui ne revient pas à la raison, ce n’est que par le travail de la raison que nous pouvons nous la poser. […]
Nous ne défendons pas la raison contre les autres manifestations de la vie. Nous la défendons contre les manifestations qui, étant autres, veulent se donner pour elle et dégénèrent ainsi en déraisons. Nous ne la défendons pas contre les passions, contre les instincts, contre les sentiments comme tels, mais contre les démences, contre les insanités. […]
La raison a ses moyens propres, qu’elle emploie dans les arts, dans les lettres, dans les sciences et dans la philosophie. Ces moyens ne sont nullement disqualifiés pour l’étude que nous devons faire des phénomènes sociaux. Ce n’est pas quand la matière de l’étude est particulièrement complexe, mouvante, libre, difficile, que nous pouvons nous démunir d’un outil important, ou que nous devons le fausser. » Charles PÉGUY, Œuvres complètes, tome 1, La Pléiade, p. 486
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