« La lecture a perdu le prestige qu’elle avait autrefois : d’une part, son apprentissage a valeur d’utilité ; d’autre part, il ne concerne qu’une des activités qui donnent accès au monde et qu’il convient ainsi de ramener, autant que faire se peut, à l’exercice naturel des sens. Dès lors, en apprenant à lire, l’enfant n’est plus induit à goûter le plaisir du bien-lire, ni à affronter l’épreuve dans laquelle se donne une norme du langage, à distance du parler-entendre ou du voir. Or, sitôt que le plaisir ne compte plus pour celui qui lit, s’évanouit sa propre image — une image dans laquelle le regard, la voix, la pensée s’échangeaient, l’assurant de son identité de Sujet —, et sitôt que la norme est ignorée s’évanouit le sens de son obligation. L’enfant qui se désintéresse de la lecture ne se sent privé ni d’une satisfaction, ni de l’estime des autres, ni d’une responsabilité. À considérer ce changement, le problème des méthodes d’apprentissage devient secondaire, même s’il est vrai, certes, qu’il ne soit pas négligeable. L’essentiel est que la lecture déchoit quand elle est traitée comme une simple technique ; quand elle ne se fait plus reconnaître comme un moment privilégié dans l’avènement du Sujet, de sa relation à soi et aux autres, dans la constitution de son image et dans l’appropriation d’une dimension de la Loi, bref quand elle cesse de figurer une expérience symbolique. » Claude LEFORT, « Formation et autorité : l’éducation humaniste »,
Écrire à l’épreuve du politique, Calmann-Lévy, 1992, p. 223-224.

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