« La phrase célèbre de Jacques Lacan : “L’amour consiste à donner ce qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en a pas besoin” n’est probablement pas une définition adéquate de l’amour, mais elle touche de plein fouet la générosité inconsidérée qui croit pouvoir utiliser la politique pour faire le Bien et choisir, à la place des gens, les objets et les modes de vie qui conviennent au peuple, à son bien-être et à sa culture. Ainsi, beaucoup de résistants se sont-ils imaginés qu’après avoir libéré la France, ils devaient libérer les Français et les doter d’une culture élevée. Mais ni la culture ni la liberté ne peuvent être « données », pour la double raison qu’elles ne sont la possession de personne et qu’elles doivent être conquises et apprises. On retrouve souvent dans la vie privée la même prétention et généralement le même échec à faire profiter les proches de bienfaits qui deviennent oppressants. C’est à cause de ce trop de bien qu’on a voulu leur faire que tant d’adolescents rejettent leurs parents. Non seulement ce bien ne leur convenait pas, mais l’accumulation des bienfaits, lorsqu’il n’est pas possible de les rendre, entraîne un malaise. Il faut donc se garder des dons intempestifs et répétitifs, et veiller à ce que le receveur ait une possibilité, même réduite, de “rendre” au donateur. »
Jean-Marie DOMENACH, Une morale sans moralisme, Flammarion, 1992, p. 132.« Retour à la liste des repères