« La démocratie n’est possible que là où il y a un ethos démocratique : responsabilité, pudeur, franchise (parrhesia), contrôle réciproque et conscience aiguë de ce que les enjeux publics sont aussi nos enjeux personnels à chacun. Et sans un tel ethos, il ne peut y avoir non plus de “République des Lettres”, mais seulement des pseudo-vérités administrées par l’État, par le clergé (monothéiste ou non), par les médias. (…) 
Que l’industrie des médias fasse son profit comme elle peut, c’est, dans le système institué, logique : son affaire, c’est les affaires. Qu’elle trouve des scribes sans scrupules pour jouer ce jeu n’est pas étonnant non plus. Mais tout cela a encore une autre condition de possibilité : l’attitude du public. Les “auteurs” et leurs promoteurs fabriquent et vendent de la camelote. Mais le public l’achète – et n’y voit que de la camelote, des fast-foods. Loin de fournir un motif de consolation, cela traduit une dégradation catastrophique, et qui risque de devenir irréversible, de la relation du public à l’écrit. Plus les gens lisent, moins ils lisent. Ils lisent les livres qu’on leur présente comme “philosophiques” comme ils lisent des romans policiers. En un sens, certes, ils n’ont pas tort. Mais, en un autre sens, ils désapprennent à lire, à réfléchir, à critiquer. Ils se mettent simplement au courant, comme l’écrivait l’Obs il y a quelques semaines, du “débat le plus chic de la saison”. »
Cornelius CASTORIADIS, « L’industrie du vide » 
Domaines de l’Homme – Les carrefours du Labyrinthe II , édit. Seuil, Paris, 1986, p. 31
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