« Les horreurs [de la guerre] que nous venons de voir, et celles pires que nous verrons bientôt, ne sont nullement le signe que le nombre des révoltés, des insoumis, des indomptables, augmente dans le monde, mais bien plutôt que croit sans cesse, avec une rapidité stupéfiante, le nombre des obéissants, des dociles, des hommes, qui, selon l’expression fameuse de l’avant-dernière guerre, « “ne cherchaient pas à comprendre”. […] “Que voulez-vous ? Je n’en suis pas responsable ”, voilà l’excuse-type, valable pour n’importe quel cas. Des milliers de braves gens de mon pays l’ont entendue tomber de la bouche du policier ou du gendarme de Vichy, pendant l’occupation allemande. Ces policiers, ces gendarmes étaient leurs compatriotes, souvent même leurs anciens camarades de la guerre, n’importe ! Pétain se nommait le chef de l’État, et l’État, dont les imbéciles croient dur comme fer que le rôle est de les élever, ou de les nourrir, de les instruire, de les soigner dans leurs maladies, de les entretenir dans leur vieillesse et finalement de les enterrer, a tous les droits. Que Pétain fût devenu chef de l’État par une véritable escroquerie et dans les conditions les plus déshonorantes pour un militaire, c’est-à-dire à la faveur de la déroute, le policier ou le gendarme ne s’embarrassaient nullement de ce détail. […] “Ne te fâche pas, disait le gendarme de Vichy à son compatriote, je m’en vais te livrer à la police allemande, qui après t’avoir scientifiquement torturé te fusillera, mais que veux-tu ? Le Gouvernement m’a donné une situation, et je ne peux naturellement pas risquer de perdre cette situation, sans parler de ma petite retraite future. Allons ! ouste ! Il ne faut pas chercher à comprendre. ” »
Georges Bernanos, La France contre les robots, Robert Laffont, 1947, p. 219-220.« Retour à la liste des repères