« L’existence de chacun comme celle d’une société demeure une histoire, au sens fort que nous avons donné à ce terme : dialectique de la nature donnée et des circonstances, de la tradition et du jugement moral, et à notre époque, dialectique d’un progrès scientifique et technique, comparable à une fatalité, et d’une humanité qui ne sait avec certitude ni ce qu’elle est ni ce qu’elle veut. […] 
Les hommes n’ont jamais su l’histoire qu’ils faisaient, mais ils ne le savent pas davantage aujourd’hui. Il est bon de penser à l’avenir non de le croire à l’avance écrit. […] L’histoire demeure humaine, dramatique, donc à certains égards irrationnelle. Les idéologies aujourd’hui à la mode dénoncent tantôt l’irrationalité des guerres, des aventures spatiales, de la croissance à tout prix ou de la concurrence frénétique, tantôt la rationalisation inhumaine d’une existence désormais sans projet, sans utopie, sans transcendance. Par quel miracle la science et la technique, maudites par J.-J. Rousseau, auraient-elles ramené les hommes à l’innocence, à la paix, à la chaleur des communautés étroites et closes dont les ethnologues croient percevoir la présence fugitive, à l’aube du néolithique ? »
Raymond ARON, Les désillusions du progrès. Essai sur la dialectique de la modernité, Gallimard, collect. Tel, 1969, p. 293 et 294.« Retour à la liste des repères