« Si la fin véritable est la culture – mode de vie unique, expression singulière de la liberté créatrice – n’allons-nous pas, une fois de plus, par ce chemin détourné, revenir aux nations et aux nationalismes, spectre qui recommence à hanter le monde dès le moment où le spectre du communisme ou des religions séculières semble se perdre à l’horizon. Non que les unités de culture coïncident avec les unités politiques ; il ne manque pas, nous l’avons vu, d’États multinationaux ou multitribaux. Non que les communautés modernes de culture – la nation française ou allemande – atteignent à une pleine homogénéité, comparable à celle des petites sociétés closes de quelques centaines d’âmes. À l’intérieur de la nation française, selon les couches sociales, les régions et les métiers, l’ethnologue n’aura pas de peine à discerner des ensembles multiples, chacun expression d’une certaine attitude existentielle. Il n’en reste pas moins que, parmi les ensembles culturels, les systèmes de croyance et les manières de vivre, la nation, au sens européen du terme, tient une place à part parce qu’en elle s’unissent la langue, véhicule de la tradition, et l’État, par lequel l’individu accède à la citoyenneté et retrouve, en dépit du nombre, la conscience peut-être illusoire, de forger et non de subir l’ordre social. » Raymond ARON, Les désillusions du progrès. Essai sur la dialectique de la modernité, Gallimard, col. Tel, 1969, p. 277

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