« Il est peut-être naturel que des dirigeants élus – qui doivent tout, ou sont persuadés qu’ils doivent tout, aux animateurs de leur campagne électorale – croient en la toute puissance de la manipulation sur l’esprit des hommes et pensent qu’elle peut permettre de dominer réellement le monde. […] Mais ni la réalité ni le sens commun ne pouvaient atteindre l’esprit des spécialistes de la solution des problèmes qui continuaient, imperturbablement, à préparer leurs scénarios « appropriés à chacun des publics » dont il fallait modifier l’état d’esprit. […] Nous savons aujourd’hui à quel point on a pu se tromper sur tous ces publics. […] Les trompeurs ont commencé à s’illusionner eux-mêmes. Du fait sans doute de la position élevée qu’ils occupaient et de leur imperturbable confiance en eux-mêmes, ils étaient convaincus de pouvoir remporter un succès total, non pas sur le champ de bataille, mais dans le domaine des relations publiques, et si fermement assurés de la valeur de leurs postulats psychologiques quant aux possibilités illimitées de manipuler l’opinion, qu’ils ont anticipé et sur la conviction généralisée et sur la victoire dans cette bataille dont l’opinion publique était l’enjeu. Comme de toute façon ils avaient choisi de vivre à l’écart des réalités, il ne leur paraissait pas plus difficile de ne pas prêter attention au fait que le public refusait de se laisser convaincre que de négliger les autres faits. » Hannah ARENDT, Du mensonge à la violence, Calmann-Lévy, pp. 22, 23, 39.

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