Lettre n°18 – janvier 2000

Des outils pédagogiques appliqués aux enfants, pour lutter contre les atteintes sexuelles

Le document « Passeport pour le pays de la prudence » se présente sous la forme d’une petite brochure d’un vingtaine de pages, « conçue par le ministère des Affaires sociales et le ministère de l’Éducation nationale, en collaboration avec des professionnels de l’enfance, spécialisés dans la prise en charge des victimes d’atteintes sexuelles, et des représentants de la FCPE et de Familles rurales. » S’y ajoute le « concours des enfants d’écoles primaires de la banlieues parisienne, de Paris et de Mayenne. » Cette brochure se présente comme un jeu adressé à l’enfant : Au pays de Prudence, grands et petits vivent heureux. Chacun connaît et respecte les droits et les devoirs de l’autre. Veux-tu atteindre ce pays et devenir un Héros de Prudence ? 
Chaque page décrit en une phrase la situation dans laquelle est censée se trouver l’enfant, situation représentée par un petit dessin suivie de trois types de réponse possibles, symbolisées par un triangle, un rond, ou un carré. Et la brochure d’indiquer : « Avant de partir, pour être plus fort, trouve un adulte – compagnon de route à qui confier tes secrets et qui pourra t’aider. »

Un jeu…

En fait, on peut s’interroger sur la représentation des adultes et de leur monde qui est donnée aux enfants par le biais de cet outil qui se veut pédagogique et se présente comme un jeu. Qu’on en juge : « Un monsieur qui a l’air poli et gentil te demande d’aller avec lui pour l’aider… Tu joues avec des copains. un voisin vous invite pour vous montrer sa nouvelle console de jeux… Un adulte que tu aimes bien, te fait des caresses qui te gênent, et te demande de garder le secret… Dans la rue, tu as l’impression d’être suivie… Une grande personne te propose de l’argent ou des cadeaux pour que tu te déshabilles ou pour que tu lui fasses des caresses… […] Au cinéma, à la foire, ou dans un jardin, un monsieur se colle à toi ou te montre son sexe…Tu es en retard. Une dame te dit qu’elle habite près de chez toi et te propose de te reconduire… Tu vas chercher ton vélo dans les sous-sols de l’immeuble. un inconnu te propose de descendre avec toi pour t’aider… […] Au sport, tu es seul : un adulte te demande de prendre des poses pour te photographier… »

Tous des pervers

Les adultes ainsi présentés apparaissent tous comme des pervers en puissance. Seule, la dernière situation décrite est différente et n’appelle aucune réponse à cocher : « En famille ou avec de bons amis, on joue, on rit, on se fait des bisous… ».
Et dans le bas des dernières pages, un petit chien gentillet émet quelques paroles rassurantes : « Il y a toujours des adultes pour t’aider. Hé ! Il y a quand même beaucoup d’adultes qui aiment et respectent les enfants. » Et si l’enfant n’a pas obtenu assez de bonnes réponses, il est invité à en parler avec des grandes personnes et à recommencer.

« Toi seul sait ce que tu aimes et ce que tu n’aimes pas »

Enfin, une page indique comment « savoir se protéger. » Les formulations sont là aussi, pour le moins étonnantes : « Toi seul sais ce que tu aimes et ce que tu n’aimes pas. Alors fais-toi confiance. Et n’oublie pas ! Si on te fait des propositions qui t’embarrassent, pour t’aider à te décider, pose toi secrètement les questions : Est-ce que ça me fait vraiment plaisir ? Est-ce que mes parents sont d’accord ? Est-ce que j’ai les moyens de les prévenir ou d’appeler la police (le 17) ? Est-ce que je peux aller seul dans ces endroits sans prendre de risques ? Est-ce que quelqu’un viendra m’aider si j’en ai besoin ? Si tu réponds non dans la tête une seule fois, tu ne dois pas accepter les propositions que l’on te fait. »

« Ça dérape »

Une « vidéo-forum » accompagnée d’un « livret pédagogique » sur la prévention des abus sexuels circule également dans certains établissements. Il est l’œuvre d’une association spécialisée dans la prévention des abus sexuels et s’intitule : « Ça dérape ou un espace de parole. » Après avoir rappelé la définition d’un « abus sexuel » et la législation en la matière, les objectifs du vidéo forum sont présentés de la façon suivante : « – Enseigner à l’enfant l’estime de soi, la reconnaissance de sa valeur personnelle, de ses droits et de ses devoirs. – Évaluer les situations potentiellement dangereuses et amener l’enfant à établir des règles d’auto-protection. – Déculpabiliser l’enfant et l’encourager à parler s’il devient lui-même victime. – Repérer les personnes ressources, soit dans son entourage, soit parmi les professionnels afin de faire cesser les agissements et de trouver aide et protection. »

Vas-y, c’est à toi

Ce « vidéo-forum » se veut « interactif » en favorisant l’animation de débats, en sensibilisant les enfants aux problèmes des abus sexuels et en développant « l’esprit critique de l’enfant, en l’incitant à rechercher, à proposer des solutions pour améliorer les situations présentes dans la vidéo. » « Cible » visée, précise-t-on : enfants de 6 à 12 ans.
La vidéo présente une succession de situations qui doivent jouer le rôle de « déclencheur, » « l’aspect pédagogique est traité en direct avec les enfants spectacteurs-acteurs ». Chaque séquence est entrecoupée de clips chantés et de jeunes rappeurs incitent les enfants (« Vas-y, c’est à toi), » à rechercher « toutes les possibilités de solutions pour améliorer les situations. » Là aussi, le clip se présente comme un jeu où les enfants à la fin de chaque séquence sont invités à proposer des solutions. Suivent des séquence du type : « Dans un parc, Marie est importunée par un inconnu qui lui caresse les cheveux et lui pose des questions indiscrètes… A la piscine, Rémi est victime d’un exhibitionniste… Pierre va à la pêche avec son papi ; celui-ci en profite pour abuser de lui… Fabienne est victime d’abus sexuels répétés, elle révèle à sa maman que son beau-père abuse d’elle… »

En chansons

Les paroles des chansons sont elles aussi, pour le moins, déconcertantes : « Couplet n°1. Clip de renforcement. Je sais ce qui me plaît, ce qui me fait du bien. mon corps me dit écoute-moi. Il m’appartient, il est à moi. Chacun son corps, laisse-moi le mien. Couplet 2. Et si quelqu’un, n’importe qui, ou même quelqu’un que j’aime aussi, me fait du mal, je peux dire non, c’est lui le coupable et j’ai raison. Couplet 3. Dire qu’on m’a fait mal, qu’on m’a blessé, bien sûr c’est pas facile d’en parler, mais j’ai la loi de mon côté, je peux tout dire, tout raconter. Refrain. C’est une planète, un vrai trésor, mon corps, c’est sûr il vaut de l’or. Je veux l’écouter et l’aimer fort, je suis d’accord avec mon corps. »
Le moins que l’on puisse dire est que de telles formulations ne vont pas de soi.

Sommaire de la lettre n°18 – janvier 2000