Lettre n°18 – janvier 2000

La bonne solution est toujours la dernière…

Chaque enseignant de chaque collège, de chaque lycée, a reçu, individuellement, un numéro hors-série du BO (le bulletin officiel de l’éducation nationale), daté du 4 novembre 1999 et proposant des « repères, pour la prévention des conduites à risques dans les établissements scolaires », sous la forme d’un guide pratique et d’un guide théorique.
Le procédé est exceptionnel et témoigne de l’importance que la ministre déléguée, chargée de l’enseignement scolaire, accorde à cette nouvelle campagne d’information et de sensibilisation de tous les personnels.
Les intentions sont louables : il s’agit de protéger les jeunes contre toutes sortes de risques, notamment la drogue et l’alcool, et d’éviter ainsi que leur « curiosité » ne se transforme en « accoutumance » ou en « dépendance ». Mais, les premiers mots de la préface de Ségolène Royal donnent le ton : « Aider l’élève dans la construction de sa personnalité, en lui donnant les moyens de délibérer, de juger, de choisir, en le rendant responsable de sa santé et en le préparant à l’exercice de sa citoyenneté, telle est l’une des missions éducatives de l’Ecole. C’est dans cet esprit que j’ai créé, en juillet 1998, les comités d’éducation à la santé et à la citoyenneté (CESC). Le rapprochement des deux notions de “santé” et de “citoyenneté” n’allait pas de soi… » (page 5)
Et en effet, il ne va pas de soi ; on confond ainsi action de prévention et éducation, autonomie du jeune et citoyenneté, autorité et répression…
Suivent de nombreuses incitations à mettre « l’élève au cœur de la relation adulte-élève dans laquelle l’élève devient responsable et acteur de sa propre prévention, développant ainsi une attitude positive dans une démarche valorisante en matière de santé et de citoyenneté, profitable à tous et au climat de l’établissement. » (page 49).

Drôle de monde

Par leurs attitudes déviantes, est-il expliqué, les jeunes émettent des messages que les adultes ne comprennent pas toujours et qu’ils doivent apprendre à interpréter. « En effet, les repères du passage de l’enfance à l’âge adulte se sont progressivement effacés ces dernières décennies, laissant à chacun le soin d’en définir le chemin. Le rôle des intervenants adultes en est majoré, car eux seuls peuvent être les témoins des changements qui s’opèrent chez l’adolescent ; eux seuls peuvent les officialiser en en tirant les conséquences en termes de droits et de devoirs nouveaux qu’ils impliquent. » (page 39) Drôle de monde dans lequel les enfants sont livrés à eux-mêmes devant des adultes incapables de les orienter !
Notons également le glissement sémantique : les personnels de l’éducation nationale sont devenus des intervenants adultes. La frontière entre le métier d’enseignant et celui d’éducateur devient floue. Que demande-t-on aux équipes éducatives ? Former les esprits, apporter des connaissances ? Décentrer les jeunes de leurs préoccupations immédiates et de leurs habitudes de consommation ? La ministre déléguée semble davantage préoccupée par leur mobilisation sur un nouveau front. Ils sont invités « à mutualiser leurs compétences dans le traitement des divers cas qu’ils rencontrent. […] A mettre en place des animations, des débats et des formations, à s’approprier les connaissances requises et les moyens humains et juridiques pour prévenir les conduites à risques. »

Cocher la bonne case

Et que dire de la démarche ? Les études de cas recensés ne sont pas absurdes, mais les scénarios proposés font sourire. Par exemple. « Un principal de collège découvre un élève dix minutes après l’entrée des cours, sortant des toilettes, dans un état manifestement “anormal” » : que faire ? Scénario 1 : “Le principal ignore la situation et poursuit son chemin.” Scénario 2 : “Le principal conduit l’élève dans son bureau sans chercher le dialogue et l’informe simplement des sanctions encourues”. Scénario 3 : “Le principal le conduit à l’infirmerie. L’infirmière fait le premier diagnostic et informe l’équipe de direction lors d’une réunion” Cocher la bonne case. Mais la bonne solution est toujours la dernière… 
Dans les salles de profs, on apprécie moyennement toutes ces incohérences. Pendant qu’on en appelle à l’autonomie de l’élève qui est renvoyé à sa propre responsabilité, on propose aux équipes éducatives d’appliquer des recettes correspondant à des situations clairement identifiées, avec des objectifs précis, des questions qui se posent, des recommandations fortes, des « incontournables »… Et le bon sens dans tout cela ?

René Rodriguez

Sommaire de la lettre n°18 – janvier 2000