Quand la référence à une culture nationale commune et l’imprégnation des valeurs républicaines s’érodent, les conflits internationaux peuvent avoir des effets délétères dans le pays. La guerre annoncée en Irak risque d’amplifier ce qu’on constate déjà avec le conflit israélo-palestinien : le développement de prises de position conditionnées par l’appartenance communautaire comme si celle-ci devait déterminer désormais les positions politiques. Elles rendent en fait le débat difficile, jouant sur un registre identitaire et passionnel qui laisse peu de place au recul réflexif et critique nécessaire. Si l’expression culturelle et religieuse est légitime, elle ne se confond pas pour autant avec le lien de citoyenneté qui implique à la fois l’appartenance à une même collectivité historique et l’idée d’individus libres capables d’autonomie de jugement.
Le problème n’est pas seulement celui de la montée des communautarismes, mais d’une désocialisation et d’une déculturation d’une partie minoritaire de la jeunesse des banlieues qu’il est vain de nier. Les attentats terroristes du 11 septembre, la guerre en Afghanistan, le conflit israélo-palestinien, la guerre américaine en Irak… peuvent servir d’exutoire à leur mal-être identitaire et les citoyens de culture juive servir de bouc-émissaires. Si les manifestations d’intolérance et l’extrémisme n’existent pas dans un seul camp, des actes graves ont été commis contre des synagogues et des écoles et on observe une banalisation de comportements judéophobes sous couvert d’« antisionisme ». Le racisme antijuif sous toutes ses formes exige la dénonciation la plus ferme. Le soutien à la revendication d’un État palestinien dans des frontières sûres et reconnues n’implique pas de se taire ou de minimiser ces agressions. De même, la critique de la politique guerrière de Georges Bush n’implique pas l’antiaméricanisme, la confusion avec le conflit israélo-palestinien et la moindre complaisance à l’égard du régime dictatorial de Saddam Hussein.
Répétons-le : l’éthique n’appartient pas à un camp. La critique de la politique du gouvernement d’Ariel Sharon ne signifie pas qu’on se taise sur le terrorisme suicidaire palestinien. Celui-ci introduit dans le conflit un culte de la mort et du martyr, qui constitue un défi pour la raison, annihile la dimension politique en bouchant l’horizon du possible. Il n’existe pas de solution militaire qui puisse résoudre le conflit israélo-palestinien.
La confusion se développe et de nouveaux amalgames apparaissent. De ce point de vue, l’appel au « non renouvellement de l’accord d’association Union européenne-Israël, en particulier en matière de recherche » nous paraît absurde : on ne voit pas comment un accord de coopération universitaire en matière de recherche prendrait le sens d’un soutien à la politique du gouvernement israélien actuel, d’autant plus que les partisans de la paix sont nombreux parmi les universitaires et les chercheurs israéliens. L’accélération des événements, l’urgence des situations de détresse, les spéculations hâtives sur les responsabilités et les intentions développent les passions et ne favorisent guère l’analyse sensée d’une situation. En période de guerre, tout particulièrement, l’information est brouillée par la logique spectaculaire des médias audiovisuels et par les intérêts antagonistes en jeu dans le conflit. Chez les journalistes, il devient parfois difficile de distinguer l’information du commentaire, quand ce n’est pas de l’opinion personnelle ou de l’engagement. Ces derniers ne sont pas illégitimes à condition qu’on distingue les genres et qu’on ne confonde pas la morale ou la justice avec les médias.
Il importe de « garder la tête froide » et que les citoyens de toute origine protestent contre les amalgames et l’extrémisme que notre modèle républicsain avait jusqu’à maintenant réussi à combattre. Les contradictions et le débat sont constitutifs de la démocratie, mais encore faut-il qu’ils se réfèrent à une histoire et des valeurs communes, et qu’ils maintiennent l’exigence de la raison.

Politique Autrement

Sommaire de la lettre n°28-février 2003