Nous voici, parents assis de nouveau sur les bancs de l’école face à des enseignants sur l’estrade. Dix d’entre eux (neuf femmes et un homme) viennent un par un nous exposer ce qu’ils pensent du niveau de la classe, de son état d’esprit et leur méthode pédagogique… La professeur principale assène sur un ton un peu sec une série d’informations : la classe n’est pas mauvaise, la « participation » et la « communication » y sont bonnes, les élèves prennent la parole volontiers et il n’y a pas d’énormes problèmes de discipline… Nous voici quelque peu rassurés. Mais aussitôt commencent quelques litanies qui semblent bien s’adresser à nous. L’enseignante s’indigne et s’étonne quelque peu : les jeunes ne savent plus compter sans leur calculette et tout le monde s’en plaint, il y a des jeunes grands et costauds, mais qui sont restés de « gros bébés », il va falloir leur faire comprendre qu’ils doivent se prendre en main… Au passage, on nous signale que nombre d’enseignants sont débordés, font des heures supplémentaires et qu’il y a sûrement un problème d’effectifs… On ne comprend pas très bien ce que nous pouvons y faire. Chaque enseignant, qui a naturellement tendance à ne considérer que sa propre discipline, vient tour à tour charger la barque, sans trop se poser la question : trente-trois heures de cours par semaine, n’est ce pas beaucoup ?
Mais le plus frappant, c’est le mot « réussite » qui revient en leitmotiv dans tous les discours. On tient à nous dire et à nous répéter que tout sera fait pour la réussite de nos enfants, il faut que nous en soyons assurés, mais, attention, si vraiment nous la voulons (la réussite), il va falloir que chacun se sente concerné et y mette du sien. On compte sur nous et on nous le fait savoir : rien ne peut se faire de valable sans la mobilisation de l’enfant et des parents. Nous, parents, sommes fortement invités à vérifier dans le détail si notre enfant a bien assimilé les cours. Ne pas oublier les leçons à apprendre et les devoirs à faire, ne pas oublier de regarder tous les soirs le carnet de correspondance. La professeur principale convoquera les parents dans l’ordre des difficultés rencontrées : les derniers parents convoqués, indique-t-elle, n’auront pas trop de soucis à se faire. En ce début d’année, il est trop tôt pour savoir encore le sort qui nous est réservé.
Modernisme et désuétude
Étrange réunion qui n’est pas sans rappeler les réunions de mobilisation pour cadres ou les stages de formation. Un jeune enseignant, frais émoulu des IUFM, nous présente fièrement son outil d’autocontrôle. L’enseignante de français nous fait part des objectifs et des compétences : « savoir transmettre des émotions », « savoir nommer ses sentiments ». L’enseignante d’anglais, bavarde infatigable, semble quant à elle très attachée à la notion de « cursivité ». Il y a aussi les « paliers d’orientation » et les « choix stratégiques d’option », ainsi que le fameux stage d’une semaine en entreprise qui nécessite aussi un plein investissement… Ces nouveaux mots se mêlent à un langage plus connu : on nous parle de cahiers et de classeurs divers, de pastilles rouges et vertes pour le rangement. Et puis ces quelques mots de l’enseignante de français : « J’aimerais tant qu’ils découvrent la lecture-plaisir ». Curieux mélange de modernisme et de désuétude.
Doux fond sonore
Sommes-nous encore à l’école ou dans une entreprise de formation visant à adapter au mieux les enfants à un monde en plein bouleversement ? L’école dite de la « réussite pour tous » n’a plus grand chose à voir avec celle de notre enfance. Les sociologues et les pédagogues de la modernisation ont beau dénoncer le moindre signe de nostalgie, notre esprit est ailleurs et musarde du côté de la cour de récréation. Les discours des enseignants comme un doux fond sonore. Étrange climat, dans cette salle de classe où l’on peut voir par la fenêtre les feuilles des grands arbres tomber. Nos enfants ont-ils encore le temps de rêver ?
M. de Landemer