Septembre 2014

Élisabeth Schemla (*)

Cette lettre rend compte d’une conférence de Politique Autrement qui s’est tenue le 11 janvier 2014. Elle ne prend donc pas en compte les événements qui se sont déroulés depuis lors.

J’ai mis en exergue de mon livre, Islam, l’épreuve française [1]deux phrases qui résument le problème. La première est de François Mauriac, écrivain catholique, qui a écrit dans son journal : « L’épreuve ne tourne jamais vers nous le visage que nous attendions. » En effet, l’irruption d’une religion prosélyte et conquérante est un défi inattendu auquel la France est aujourd’hui confrontée. La seconde phrase mise en exergue est celle de Youssef Al-Qardaoui, vieux chef spirituel des Frères musulmans, basé à Londres et prêcheur vedette de la chaîne Al Jazeera. Dans son livre Le licite et l’illicite en islam, deuxième livre le plus lu après le Coran dans le monde musulman, il écrit : « Doit-on conquérir l’Europe par la guerre ? Non… L’Europe est minable, vautrée dans son matérialisme et sa philosophie de promiscuité. Le message de l’islam est mondialiste. Aussi, je souhaite que l’islam conquière l’Europe par l’influence. » Ces citations donnent une idée de la difficulté de cette « épreuve française ».
Nous avons affaire à une épreuve dont le symptôme est la peur. Il suffit d’écouter les conversations et d’analyser les sondages. Pourtant, beaucoup de bons esprits trouvent que cette peur est totalement déplacée. Le problème est que les choses ne sont pas si simples dans la réalité quotidienne. Dans de nombreux quartiers, l’islam est extrêmement visible, voire revendicatif : le foulard – que je préfère appeler hidjab –, le niqab et même la burqa, mais aussi pour les hommes, la barbe, la tenue afghane ou encore la revendication du hallal et du haram (le licite et l’illicite)…, sont de plus en plus présents.
Cette peur vient également de ce que nous transmettent les médias. Ainsi observons-nous l’affrontement entre chiites et sunnites et ce qui se passe dans l’ensemble des pays musulmans de la planète, pays arabes, africains, sud-africains ou asiatiques. Dans nombre d’endroits, nous voyons à l’œuvre une épouvantable condition de la femme, des violences extrêmes, des guerres, et des minorités progressivement éradiquées. Nous assistons dans le monde – l’État islamique en Irak focalisant notre perception –, à une très puissante montée de l’islamisme, contrairement à ce qu’un Gilles Kepel, par exemple, nous avait annoncé avec tant d’assurance en plusieurs centaines de pages.
Près de nous, pendant la décennie 1990, une effroyable guerre civile algérienne nous a particulièrement touchés. Plus récemment, on peut s’inquiéter, après un moment irénique, des suites de cette révolution arabe de 2011, sauf peut-être en Tunisie où les choses semblent plus complexes et nuancées, même s’il faut rester très prudent.
Cette peur est, à mes yeux, un symptôme et elle est justifiée au vu tout ce que nous pouvons observer, à la fois dans la vie quotidienne, ici en France, et dans le monde. Les meurtres commis par Mohamed Merah, chez nous, ont rendu sensible la conscience du danger.

Un problème français

En abordant le sujet de l’islamisme, il va sans dire que je ne parle absolument pas des millions de musulmans, hommes, femmes, enfants qui vivent tranquillement leur foi et n’ont aucun compte à régler avec la laïcité. Ils n’ont rien à voir avec l’islamisme que véhiculent la réislamisation des musulmans et l’islamisation des Français à travers les conversions, compte tenu des conditions dans lesquelles elles se font.
Contrairement à ce qu’essaie de nous faire croire le Front national, l’islam est un problème franco-français et non pas un problème d’immigration et d’étrangers, même si, évidemment, il faut moduler le phénomène. L’islam est aujourd’hui pratiqué en France par des millions de personnes. Cependant on ne sait pas toujours ce qu’il faut mettre sous l’appellation de « musulman ». Michèle Tribalat, démographe, parle de cinq millions de musulmans ; l’IFOP, qui depuis vingt ans suit en continu l’évolution de la population musulmane en France, parle de cinq à huit millions. D’autres parlent de sept millions huit cent mille ou de neuf millions… Dans tous les cas, aujourd’hui, des millions de Français, d’une façon ou d’une autre, sont rattachés à l’islam. Et, bien entendu, dans cette appellation, il faut englober tous ceux que l’on appelle « musulmans » et qui, en réalité, peuvent être non seulement des laïcs, mais peuvent même être des agnostiques ou ne pas suivre du tout la religion en étant seulement de culture musulmane.
En avril 1976, Jacques Chirac, premier ministre de Giscard, a établi le regroupement familial. Il l’a fait dans un esprit que l’on peut comprendre et même apprécier car les Maghrébins qui venaient travailler chez nous venaient seuls, en célibataire, et beaucoup vivaient dans des foyers Sonacotra. Mais avec l’installation de la famille en France et la crise pétrolière de l’époque, la pratique de l’islam va commencer à changer. L’« islam consulaire » constituait jusqu’alors une pratique dominante : chacun des pays d’origine considérait ses ressortissants comme des expatriés, qui, un jour, retourneraient dans le pays d’origine. Dans ce cadre, la pratique de la religion ne coupait pas les ressortissants de leur pays. Mais avec le regroupent familial, le premier, puis le deuxième choc pétrolier, le retour au pays n’est plus envisagé et l’on a vu apparaître l’essor d’un islam tout à fait différent : un islam transnational, mondialiste, qui se moque des frontières et des continents.
Pourquoi l’islam nous surprend-il autant aujourd’hui ? Après la loi de 1905, nous avons eu les grandes tragédies du XXe siècle qui nous ont conduits, après l’avoir interrogé, à nous détacher de Dieu. La laïcité, qui ne s’est pas installée aussi facilement que cela, a été un combat contre la croyance. Mais la déchristianisation n’est pas seulement due à la laïcité. Il faut prendre en compte non seulement des grandes tragédies de l’histoire, mais aussi les progrès scientifiques et techniques, ainsi que le matérialisme échevelé dans lequel nous trempons. Depuis un siècle, on peut dire, je crois, que Dieu a plus ou moins déserté la France. On pouvait croire que la laïcité était une chose acquise en France et nous n’étions absolument pas préparés à l’irruption d’une nouvelle religion. La France est aujourd’hui le premier pays musulman d’Europe et nous ne savons plus comment faire avec le fait religieux, et notamment avec un fait religieux qui est lui-même prosélyte et très identitaire.

De l’affaire du « foulard de Creil »
à la création du Conseil français du culte musulman

Pour expliquer pourquoi la situation est inquiétante, il faut résumer l’histoire politique de ces vingt-cinq dernières années. En 1989, l’affaire du « foulard de Creil » a fait irruption soudainement dans le paysage français : trois collégiennes allaient en classe coiffées du hijab et refusaient de le retirer. Le chef d’établissement, un membre du RPR, était un vrai républicain laïc. Il avait à gérer vingt-six nationalités dans son collège, parmi lesquelles deux tiers d’élèves musulmans. Il refusa que les collégiennes gardent le hijab à l’école, et, comme elles continuaient à le porter, il prononça leur exclusion du collège.
C’était une affaire grave pour la République et le pouvoir politique. Pourtant, elle fut totalement sous-estimée, malgré ce qui commençait à se passer en Algérie. On a cru ou voulu croire qu’il ne s’agissait que d’une revendication religieuse sans autre signification qu’une croix ou qu’une étoile de David autour du cou. L’islamisation, comme on a pu le voir dans d’autres pays, commence toujours par les femmes et par les filles, parce qu’elles sont d’abord les plus fragiles et ensuite les reproductrices du système que l’on veut installer par les enfants, l’éducation et le monde clos du foyer. En réalité, l’affaire du « foulard de Creil » en France correspond au début de cette islamisation. D’ailleurs, les parents des collégiennes n’étaient pas seuls en cause, il y avait aussi des imams et des jeunes derrière eux appartenant à des organisations musulmanes dont on allait entendre parler plus tard, lors de la création du Conseil français du culte musulman.
À cette époque, parmi les leaders qui activaient cette « révolution française », on trouvait Tareq Oubrou qui est aujourd’hui le grand imam de Bordeaux. C’est un homme remarquable qui a déclaré qu’il s’était trompé et s’est retourné contre ce qu’il avait contribué à mettre en place. Bien que fils de deux parents marocains, enseignants laïques de l’école publique, il lui a fallu du temps pour comprendre et admettre que l’islam devait se contextualiser, s’adapter à la France, alors qu’en dehors de nos pays européens, l’islam est non seulement une religion d’État mais religion majoritaire, voire hégémonique. Aujourd’hui, l’islam doit passer d’une conception de majorité à une conception de minorité, ce qui n’est ni dans le texte du Coran, ni dans les pratiques.
En 1989, quand apparaît cette affaire du hijab à Creil, Mitterrand est président de la République et Lionel Jospin ministre de l’Éducation nationale. La réponse du pouvoir politique va être déterminante pour la suite. À l’époque, je suis rédactrice en chef du Nouvel Observateur et chargée de couvrir l’affaire du hijab de Creil. J’ai alors un entretien avec Lionel Jospin pour qu’il explique la position du gouvernement et, au-delà, celle du président de la République. Jospin m’expose un point de vue qui est celui qui, au fond, a eu cours jusqu’à maintenant : la conception archaïque de la laïcité ne peut plus tenir, il faut absolument que cette laïcité s’adapte à l’évolution de la société ; l’enfant prime sur tout autre chose ; l’exclusion est donc impensable et il faut apprendre à faire avec des pratiques qui, du moment qu’elles ne sont pas forcément ostentatoires, doivent être acceptées dans le cadre scolaire.
Je n’étais pas du tout d’accord avec ce discours d’autant que, m’étant rendue souvent au Proche-Orient et en Algérie d’où je suis native, je voyais bien qu’il se passait beaucoup d’autres choses. Nous avons donc eu une conversation tendue où le ministre de l’Éducation nationale a été surpris de voir une journaliste du Nouvel Observateur lui tenir un discours qui n’a rien à voir avec ce qu’il pensait être une pensée de gauche. Comme Lionel Jospin, en bon ex-trotskiste, a la tolérance rigide, il s’est un peu énervé, et je l’ai alors entendu me dire une phrase qui, je crois, hélas, exprime une idée bien présente durant le quart de siècle qui s’est écoulé : « Qu’est-ce que vous voulez que cela me fasse que la France s’islamise ? »
Le recours au Conseil d’État a apporté une réponse à l’affaire du « foulard de Creil » qui était, selon moi, porteuse du pire : du moment que les signes ostentatoires n’étaient pas trop ostentatoires, ils pouvaient être acceptés. Mais ce n’était qu’un avis du Conseil d’État.
Il s’en est suivi l’une des fautes politiques les plus graves qui ait été commises. Les chefs d’établissement n’ont reçu que l’énoncé de ce décret du Conseil d’État ; le pouvoir politique ne leur a plus jamais donné de directives. Chacun n’avait qu’à se débrouiller ! Le politique s’est ainsi défaussé de ses responsabilités et l’application de ce décret dans les écoles a donné lieu à des pratiques diverses et contradictoires, selon les chefs d’établissement. L’affaire du « foulard de Creil » est un moment fondateur, car deux idées de la laïcité s’affrontent et le multiculturalisme, l’exaltation de la diversité vont devenir une idéologie qui va se répandre dans la société.
Il a fallu attendre la fin de la cohabitation Chirac-Jospin en 2002 pour que soit enfin établi un état des lieux de la laïcité. La commission Stasi, en 2003, a procédé à un exercice pédagogique sans précédent dans la République. Tous les acteurs de la vie sociale, scolaire, universitaire, ont été consultés et les auditions ont été filmées en continu. On s’est alors rendu compte que des revendications concernant le sport, la science, les hôpitaux, le refus de certains cours, les menus hallal à la cantine… remettaient en question la laïcité à l’école.
Dans le même temps, le ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, entendait mettre en place une institution représentant l’islam français, le CFCM (Conseil français du culte musulman), poursuivant ainsi le travail entrepris par Jean-Pierre Chevènement. Ce dernier avait déjà négocié une sorte de convention, dont il est intéressant de savoir qu’il lui avait donné un nom arabe et qu’il avait accepté de ne pas y faire figurer le renoncement à l’apostasie. Quand Nicolas Sarkozy prend la suite, comme ministre de l’Intérieur, ce qu’on a appelé « l’islam des caves » s’était développé et il fallait incontestablement sortir de cette situation. Mais dans la convention qu’il a préparée, Nicolas Sarkozy n’oblige aucune des organisations qui sortiront vainqueurs de l’élection du CFCM à renoncer à l’apostasie. Aujourd’hui, dans les statuts structurant l’islam dans notre pays, rien n’évoque le renoncement à l’apostasie. Il existe donc un crime d’apostasie résiduel dans la France républicaine et démocratique. L’autre erreur de Nicolas Sarkozy fut de ne rien demander en échange de cette représentativité officielle ; il n’a pas exigé un certain nombre de règles concernant les modes et les contenus des prêches et de l’enseignement.
Les résultats des élections au CFCM ont été inquiétants, puisqu’en dehors de la mosquée de Paris, les organisations les plus intégristes de l’UOIF (Union des organisations islamiques de France) jusqu’au Tabligh [2], ont alors pris en main la représentation du culte musulman.

L’implantation du wahhabisme et l’antisémitisme

Dans cette même grande période historique, l’Arabie Saoudite qui fait par ailleurs du commerce avec les États-Unis et l’Europe, les affaires étant les affaires, exporte le wahhabisme [3] . Ce courant de l’islam est fondamentaliste non seulement à l’égard des femmes, mais à l’égard de l’ensemble de la société avec l’application de la charia. Le wahhabisme va s’installer en France dans les années 1980. Il n’existe alors aucune structure autre que celles liées à un « islam consulaire » qui permet de veiller à un minimum de financement. C’est donc à coup de pétrodollars que ce fondamentalisme s’installe avec l’envoi d’imams de différentes nationalités. Ils viennent d’Arabie saoudite, d’Egypte, de Syrie…, sont wahhabites, ne connaissent pas la France, sa culture, son histoire, ses institutions et ne parlent pas notre langue ; ils sont chargés, non pas de développer un « islam français [4] », mais d’implanter le wahhabisme. Aujourd’hui, nous avons 2300 imams officiels en France, mais seuls 400 à 450 parlent français.
_ La réislamisation des musulmans dans notre pays s’est faite non seulement avec ces imams envoyés en France mais également, plus tard, par leur présence sur Internet. L’argument selon lequel ces imams présents dans les mosquées n’ont aucune influence sur ceux qui ne vont pas à la mosquée, notamment les jeunes, est fallacieux : depuis dix ans, Internet a pris une importance considérable dans la diffusion du wahhabisme, comme on peut le constater presque chaque jour dans l’actualité. On y trouve toute la propagande en traduction française ou avec des sous-titres. Ces imams occupent une place importante et tiennent des propos anti-occidentaux, antichrétiens et antisémites [5] . On ne se rend pas compte de ce que représente la propagande antisémite à laquelle un enfant musulman est soumis du début jusqu’à la fin de sa vie à travers les manuels scolaires, les journaux écrits, les chaînes de télévision , Internet [6]…
En France, l’islamisation des jeunes se fait sur un fond de désarroi et de déstructuration identitaire, dans un moment où le respect des institutions, de l’autorité est en question, où les politiques sociales nécessaires n’en ont pas moins contribué à déresponsabiliser des catégories sociales. L’islam et tout particulièrement cet islam transnational viennent combler cette crise d’identité. De plus en plus de jeunes se convertissent à l’islam [7] , la plupart attirés par le fait d’« appartenir à une communauté ». Ils ont le sentiment que la communauté nationale ne les reconnaît pas et l’islam leur fournit une communauté à laquelle ils adhèrent pleinement, qui les reconnaît, même s’ils ne peuvent plus en sortir ou difficilement. C’est rassurant pour ceux qui sont dans le désarroi, même si ce désarroi peut devenir vindicatif. Cela leur donne des règles de conduite, un cadre de référence, même s’ils n’ont jamais lu vraiment le Coran. Il faut savoir que dans l’islam, le hallal et le haram, en tant que tels, n’ont jamais signifié tout ce que cela désigne aujourd’hui. Mais c’est très structurant de savoir qu’une chose est permise et qu’une autre ne l’est pas, dans le cadre d’une communauté où on vous apporte des préceptes religieux qui vous tranquillisent.
Enfin, ce que j’appelle la « génération islam » est en même temps nourrie par le conflit israélo-palestinien. On ne peut pas parler de l’islam en France sans le mettre en relation avec tout ce qui se passe sur le plan international, en particulier au Proche- Orient. Le conflit israélo-palestinien est un point d’ancrage dont parle très bien Tareq Oubrou, l’imam de Bordeaux, qui, après l’affaire Merah, a dû faire, pendant trois semaines, des prêches intégralement consacrés à ce sujet. Il raconte dans son dernier ouvrage Un imam en colère [8] comment il a senti chez ses ouailles, même chez les plus tranquilles et les plus pacifistes, une sorte de compréhension complice qui lui paraissait tout à fait inacceptable. Cet antisémitisme est aujourd’hui la source principale de l’antisémitisme français porté notamment par de jeunes Français de culture musulmane ou musulmans pratiquants. C’est l’un des grands problèmes de l’« épreuve française ».

Vers un islam français ?

C’est une responsabilité majeure des hommes politiques, de gauche comme de droite, d’avoir laissé s’implanter cet islam fondamentaliste. Depuis la création du CFCM en 2003, l’islam est sorti des caves, et la revendication légitime de lieux de culte devait être acceptée. Mais en refusant de voir que l’islam quittait progressivement le pays d’origine pour devenir transnational, on a laissé se développer une situation critique. Alors que l’islam transnational était en train de devenir une religion importante dans notre pays, on l’a considéré comme anecdotique et secondaire dans la vie des immigrés qui ont fait souche et dont les enfants sont Français.
On a laissé faire aussi parce que la loi de 1905 est très contraignante, puisqu’elle interdit à l’État de financer le culte en dehors du territoire concordataire [9]. Sous prétexte de ne pas se mêler du culte – même si on s’en est mêlé avec la création du CFCM –, rien n’a été prévu pour la formation des imams en France. Le centre de formation des imans de la Nièvre, dénommé Institut européen des sciences humaines (IESH), est sous la tutelle des fondamentalistes liés aux Frères musulmans. L’institut catholique de Paris dispense quant à lui une formation qui se limite à l’histoire de la France et de ses institutions. Beaucoup d’imams en restent à une espèce de kit théologique avec lequel ils bricolent autour de quelques idées simples, notamment le hallal et le haram (le licite et l’illicite). L’une des questions qui se pose est donc de savoir si l’État peut contribuer à mettre en place une école de formation d’imams pour un islam à la française. La réponse à cette question me paraît être d’une urgence absolue.
Dans la pratique, les maires, de droite ou de gauche, ont été amenés à contourner la loi de 1905. Dans un premier temps, ils ont hésité : comment faire admettre à des administrés la nécessité de donner un lieu de culte, alors que beaucoup de ces administrés n’y étaient pas tellement favorables ? En réalité, « tout s’est passé en douce » et cela « se passe en douce » encore aujourd’hui. Au début, il y a eu l’octroi de terrains sur lesquels les organisations musulmanes ont ensuite construit un lieu de culte. Ce que j’ai appelé le « bal des hypocrites » consiste précisément à contourner allègrement la loi de 1905 en faisant un bail emphytéotique de quatre-vingt-dix ans sur un terrain communal à la fédération régionale musulmane ou à une autre organisation qui fait la demande d’un lieu de culte, et qui, en même temps, a créé une association de 1901 pour ouvrir un espace culturel à côté de ce lieu de culte. Les subventions passent par ce biais : les municipalités subventionnent le culte, avec le bail emphytéotique de quatre-vingt-dix ans pour une bouchée de pain, mais aussi et surtout à travers les subventions octroyées aux activités culturelles et aux locaux où elles se déroulent et qui font partie de la mosquée ou du lieu de culte. Il n’y a aucun contrôle. Par conséquent, dans nombre de ces établissements culturels qui jouxtent les mosquées ou les lieux de culte, vous avez des écoles coraniques qui peuvent être de bonnes écoles dans certains endroits, mais vous avez aussi des medersas qui sont des foyers de séparation, d’hostilité à la fois linguistique, idéologique et psychologique de la communauté française.
À partir du moment où le CFCM était créé, les maires ont bien été obligés de composer avec cette situation, d’autant que dans le cadre de la décentralisation, ils disposent de transferts de souveraineté. Si l’on examine les choses concrètement et sans hypocrisie, on peut dire que sous prétexte de ne pas financer le culte, on l’a laissé être financé par le fondamentalisme, ce qui ne peut faciliter, d’aucune façon, la création d’un islam français s’intégrant à la République.
J’ai été pendant longtemps pour un refus radical de la modification ou de la révision de la loi de 1905. Mais quand on examine la réalité concrète de l’islam en France aujourd’hui, on se dit qu’il faut absolument régler le problème parce que la situation actuelle est porteuse de nitroglycérine. Et, ici et maintenant, je ne vois pas d’autre solution que de moduler un peu, malgré tout, la loi de 1905.
Je dois dire que je suis arrivée à cette conclusion, parce que nous sommes réellement pris entre deux feux. Si l’on décide de financer ouvertement le culte musulman pour pouvoir le contrôler, car il s’agit bien de cela, on se heurte à l’opposition des organisations musulmanes elles-mêmes et de nombreux dirigeants du culte qui apprécient la situation de totale liberté dans laquelle ils se trouvent. Mais si l’on ne change rien à la loi de 1905, on aggrave la situation actuelle. Pour éviter les tensions, faut-il tout faire en terre concordataire, là où l’État finance les différents cultes ? Il serait tout à fait possible d’y créer une école pour former des imams, mais toutes les mosquées de France ne sont pas dans cette partie du pays…
Lors d’un récent séjour à Bordeaux j’ai discuté avec deux grands interlocuteurs. D’abord avec Alain Juppé à qui j’ai demandé ce qu’il pensait de la loi de 1905. Il m’a répondu que tous les maires « font avec » et qu’ils la contournent tous ; c’est un monument national auquel il ne faut surtout pas toucher. J’ai rencontré ensuite Tareq Oubrou, l’imam de Bordeaux. Il était alors désespéré par la situation, parce que ni lui ni la fédération des Musulmans de Gironde ne parvenaient à financer la mosquée, en cours de création à Bordeaux, la plus importante de France qui, avec son centre culturel, coûterait entre 12 et 18 millions d’euros. Ce n’est pas à la République de le faire ; on est au cœur du problème.
Pour ne pas se retourner vers le Qatar ou l’Arabie Saoudite, Tareq Oubrou et la fédération des musulmans de Gironde ont décidé de s’adresser aux industriels français. C’est une idée anticonformiste qui m’a d’abord surprise. Mais nous sommes devant un problème fondamental : quel islam voulons-nous en France, nous citoyens français, musulmans et non musulmans ? Si nous voulons un islam indépendant, contextualisé, qui ait sa propre identité, nous devons trouver des financements autres que ceux fournis par l’islam fondamentaliste de ces deux pays, Arabie Saoudite et Qatar, exportateurs majeurs de terrorisme aussi. Tareq Oubrou et la fédération des musulmans de Gironde vont démarcher les moyennes et les grandes entreprises françaises pour leur expliquer la situation et leur demander de les aider. Ce projet me paraît exemplaire dans la mesure il peut être le début d’une francisation de l’islam.

Débat
Quelle sécularisation de l’islam ?

  • Q : Le dernier livre d’Olivier Roy évoque la sécularisation en islam [10] . Que pensez-vous des mouvements de sécularisation tels qu’ils semblent se développer en Iran et dans certains pays arabes où la société, du moins une partie de celle-ci, en a assez de vivre avec des islamistes au pouvoir ?
  • Elisabeth Schemla : Olivier Roy a tendance à voir des germes de sécularisation partout. Mais n’oublions pas qu’il avait tout de même expliqué, au tournant des années 2000, la fin possible de l’islamisme dans le monde. Je ne la vois pas toujours pas venir. Aujourd’hui, ce qui se passe en Tunisie, concernant le problème de l’égalité et des droits de la femme dans la constitution, est intéressant. Mais c’est un bras de fer entre les laïcs minoritaires et les islamistes. En Iran, il est vrai qu’existe un mouvement de sécularisation au sein de la société, mais quelle est la marge de manœuvre par rapport au pouvoir iranien qui a été le premier à instaurer l’ordre des mollahs avec la révolution khomeyniste ? La vie est pleine de rebondissements, c’est pourquoi, j’ai commencé mon exposé par la phrase de Mauriac : « L’épreuve ne tourne jamais vers nous le visage que nous attendions », mise en exergue de mon livre. L’épreuve, mais aussi la bonne nouvelle n’arrivent jamais du côté où on les attend. Mais les signes de sécularisation sont encore faibles.

Quel rapport entre l’islamisme et la « galaxie Dieudonné » ?

  • Q : Y a-t-il des points communs entre cette mouvance de l’islamisme radical et l’émergence de la « galaxie Dieudonné » ? Retrouve-t-on un même type de discours ?
  • Elisabeth Schemla : Le sujet est complexe. Dieudonné est lui-même contesté par des musulmans parce que, il y a quelques années, il est allé en Iran, dans le cadre d’un festival, pour trouver des financements pour son film Le code noir. L’Iran lui a accordé ce financement et beaucoup ont reproché à Dieudonné d’être tombé dans l’escarcelle des chiites. En France, nous avons surtout un islam wahhabite qui est en guerre ouverte avec les chiites, une guerre d’influence et de sanctuarisation du Moyen-Orient à laquelle nous assistons et à laquelle il serait bien regrettable, à mes yeux, que nous participions. Sa situation est donc plus compliquée qu’il n’y paraît.
    D’autre part, le public de Dieudonné n’est pas homogène, il comporte des intégristes musulmans mais aussi et surtout des jeunes historiquement incultes. Dans le désarroi actuel, beaucoup de jeunes n’arrivent pas à trouver de maître à penser ; le côté provocateur et drôle a pu également les séduire. Mais on ne peut pas uniquement invoquer l’ignorance des jeunes ; l’aspect composite du public de Dieudonné ne doit pas faire oublier un fond commun, l’antisémitisme. L’extrême droite qui soutient Dieudonné, les chiites qui le financent, les intégristes musulmans qui le contestent… ont en commun l’antisémitisme.
    Dieudonné peut faire rire, mais il tient des propos antisémites. Si vous regardez chronologiquement sur Internet tous les sketchs de Dieudonné, vous verrez qu’il y a bien longtemps qu’il ne s’amuse plus de l’islam, à part de temps en temps pour faire passer le reste, et le reste est une obsession antijuive. Il est rare aujourd’hui que vous arriviez à entendre de tels propos antisémites dans la société française et, qui plus est, dans un théâtre au cœur de la capitale.
    On essaie de nous faire croire qu’islamophobie et antisémitisme sont les deux faces d’une même haine, mais il y a deux « mesures » totalement différentes. Vous pouvez entendre dire : « Je n’aime pas cet islam ou ce barbu », mais vous n’entendrez jamais dire : « Je regrette de ne pas voir les musulmans partir en fumée. » Par contre, quand il s’agit d’un juif, cela est dit.
    On a toujours voulu différencier l’antisémitisme de l’antisionisme en faisant croire que l’antisionisme signifiait simplement être contre la politique de l’État d’Israël. Si c’est pour dire qu’il faut un État palestinien… il n’y pas désaccord. Il est d’ailleurs intéressant de savoir que l’association France-Palestine s’est totalement désolidarisée des propos de Dieudonné. Mais si vous prenez stricto sensu ce que signifie l’antisionisme, cela veut dire que vous êtes ipso facto contre le fait qu’il y ait un État d’Israël à l’endroit où il est, que vous êtes contre son existence. Donc vous êtes contre l’existence au moins des juifs qui sont là-bas. Cela peut rejoindre l’idée que vous êtes contre l’existence des juifs qui sont ailleurs. Le glissement est vite fait.

Esprit du temps et majorité silencieuse

  • Q : Quelques années avant l’affaire du foulard au collège de Creil, Gilles Kepel avait publié en 1987 une enquête sur le sujet [11] qui faisait une corrélation entre le degré de radicalité dans la pratique de la foi et le degré de marginalisation dans la société. Cette lecture économique et sociale peut-elle suffire ? Le terreau sur lequel a poussé l’islamisme ne renvoie-t-il pas à de multiples facteurs en rapport avec une situation sociale et culturelle profondément dégradée ?
  • Elisabeth Schemla : Dans l’islamisation des jeunes ou dans la réislamisation des musulmans, on a en effet l’esprit du temps : la diversité, le multiculturalisme, le relativisme culturel (« tout se vaut ») et l’individualisme (« à chacun son droit »). On trouve également du désarroi identitaire, l’échec de l’intégration, qui est dû à l’évolution de l’ensemble du système éducatif. Il faut reconnaître aussi un certain racisme et une forme de numerus clausus qui ne dit jamais son nom : plus on avance dans les études, écoles ou universités, moins on trouve de jeunes des quartiers, des noirs ou des maghrébins. Mais l’associatif a aussi une part de responsabilité, car il a passé son temps à exonérer de toute responsabilité toute une population, sous prétexte qu’elle était immigrée et en difficulté. C’est l’un des problèmes français.
  • Q : Pour un professeur, face à certains élèves, parler de laïcité, d’intégration ou d’islam relève de la gageure. Le problème est que nous pouvons être considérés comme des infidèles, et notre parole est alors disqualifiée. Dans son rapport avec l’islam, la gauche ne se laisse-t-elle pas intoxiquer elle-même par son inconscient qui est l’anticatholicisme ?
  • Elisabeth Schemla : Bien plus que l’anticatholicisme, la gauche est à mon sens marquée par le poids énorme de la culpabilité coloniale. Les grands parents ou arrières grands-parents qui ont fait partie des Forces françaises qui se sont battues pour libérer notre territoire quand il le fallait, n’ont pas eu ce sentiment revanchard des jeunes générations. Avec l’introduction des comparaisons mémorielles et les problèmes de désarroi et de crise, c’est la troisième génération qui développe ce côté revanchard. Dans ce cadre, l’Algérie occupe une place importante : l’histoire coloniale, la décolonisation, la victoire de l’Algérie sur la France ont pesé sur la troisième génération. Cela se voit très bien quand on analyse l’affaire Merah qui est le fruit de tout cela, mais aussi de la décennie islamiste en Algérie, puisque son père l’emmenait en vacances en Algérie pendant cette décennie-là. Le gamin était confronté le matin aux têtes coupées des uns ou des autres, déposées sur la place du village…
    À de nombreuses reprises, dans mon enquête, j’ai rencontré des jeunes d’origine algérienne qui veulent en découdre avec la France. Ces jeunes considèrent que les juifs ont réussi à installer une sorte de toute puissance mémorielle et se disent : « Puisque nos pères et nos grands-pères n’ont pas été capables de faire la même chose, nous allons le faire. »
  • Q : Vous évoquez « la majorité silencieuse », c’est-à-dire la plupart des musulmans qui vivent leur religion de façon tout à fait modérée, qui ne cherchent pas à changer les règles du jeu républicain par des revendications communautaristes et ne font pas du prosélytisme. Pour autant, on sent chez certains d’entre eux un silence gêné par rapport à l’islamisme ou, en tout cas, une volonté de ne pas faire de bruit. Cela ne correspond-t-il pas à l’idée que les fondamentalistes sont certes extrémistes mais que, malgré tout, ils font en quelque sorte partie de la famille et du même camp ?
  • Elisabeth Schemla : En effet, si l’on est de la même obédience, de la même famille, on a naturellement des solidarités. D’ailleurs, à Bordeaux, lors de l’affaire Merah, l’imam a senti que la communauté — qui par ailleurs est très tranquille— n’approuvait certes pas les actes de Merah, mais elle se référait néanmoins à la Palestine et à Gaza, pour essayer de comprendre pourquoi Merah avait agi de la sorte, car le conflit israélo-palestinien est un abcès de fixation terrible. Et tant qu’il n’y aura pas ces voix politiques, intellectuelles, théologiques pour parler au nom de cette majorité silencieuse, il restera malgré tout une forme de complicité implicite. Le pire, c’est que cette majorité silencieuse subit les conséquences immédiates de cet islamisme par la réprobation globale dont elle peut faire l’objet. Au fond, la majorité silencieuse, dans son ensemble, est par définition silencieuse. On ne voit pas émerger des gens qui soient de véritables leaders qui parleraient et se manifesteraient au nom de cette communauté silencieuse, comme on le voit dès qu’il y a un problème pour le reste de la communauté française. C’est une grave difficulté.

La question du corps des femmes

  • Q : Yolène Dilas-Rocherieux, qui était enseignante en sociologie à l’Université de Nanterre, a fait une enquête, au début des années 2000, auprès des étudiantes voilées pour mieux comprendre pourquoi elles portaient le voile. Dans son article paru dans la revue Le Débat en 2005 [12] , elle pose la question de la part du religieux proprement dit, l’islam, et celle du tabou ancestral sur le corps des femmes. Ce second facteur apparaît prépondérant par rapport à l’aspect strictement religieux. En fait, Yolène Dilas-Rocherieux déplace la question, en disant que, derrière la question religieuse, il y a celle du corps des femmes. Et cette question est plus large que l’islam. Qu’en pensez-vous ?
  • Elisabeth Schemla : La question du corps des femmes commence déjà par les hommes. Je pense à Khalida Messaoudi avec laquelle j’ai écrit un livre [13] : « Nulle mieux qu’elle, avec une économie de mots qui les rendent d’autant plus assassins, ne décortique la violence extrême des islamistes, leur rapport malade au sexe, au désir, leur peur des femmes, leur enfermement mental [14]. » Quand on parle du corps des femmes dans l’islam, il faut d’abord commencer par parler de ce que ce corps suscite maladivement chez les hommes. « Ne croyez surtout pas, dit en substance Khalida Messaoudi aux Français, que le foulard est une affaire vestimentaire anecdotique. Derrière, il y a la polygamie, la répudiation, les mariages forcés. N’écoutez pas tous ces barbus qui cherchent, ici en France, à vous convaincre que le voile est dicté par la religion et que c’est un colifichet ! Femme musulmane et laïque, fille de Voltaire et d’Averroès, je vous mets en garde : ils veulent vous imposer leur dictature religieuse, un fascisme vert. »
    On est troublé de rencontrer aujourd’hui beaucoup de femmes, notamment des jeunes femmes ou des adolescentes, pour qui le port du hijab ou du niqab a été un choix personnel. Ce phénomène est difficile à saisir. D’un côté, si l’on essaie de rester lucide, ce choix est plus ou moins imposé par un communautarisme religieux qui veut imposer un certain ordre et faire rentrer les femmes dans le rang. Mais d’un autre côté, nous sommes dans une société où l’individu et la liberté de la personne ont pris une place importante. Toutes les nouvelles technologies, notamment Internet, y contribuent. On a donc le sentiment que c’est l’individu qui parle : « C’est mon choix. » Et on a de plus en plus de mal – du moins quand la mainmise du frère, du mari, des hommes, n’est pas complètement évidente –, à faire la différence entre les deux.
    Je peux vous raconter une anecdote troublante. Après la publication du livre Islam, l’épreuve française, un père, gendarme, a pris contact avec moi parce que sa fille, qui allait avoir 18 ans, s’était fait influencer à Angoulême, par un imam : il allait la forcer à se marier à un Algérien qui allait l’emmener au bled. Comment le père s’est-il aperçu que quelque chose n’allait pas ? D’abord, elle est arrivée subitement avec le hijab et surtout, elle s’enfermait dans sa chambre. Un jour, il a enfoncé la porte et il a vu qu’elle regardait sur Internet des lapidations de femmes adultères en Arabie Saoudite. On est au cœur de cette liberté individuelle, de cette capacité, à travers la technologie, d’être en prise sur tout, y compris sous l’emprise communautaire.
  • Q : Pour des adolescentes, le voile n’est-il pas également une sorte de protection dans les cités ?
  • Élisabeth Schemla : Ces adolescentes peuvent être soumises à des pressions ou à des violences à l’intérieur de la cité et cela peut leur permettre d’être respectées et d’éviter les agressions. Mais il est anormal d’en arriver à une telle situation. Nous avons mené des combats pour une égalité hommes-femmes et j’ai du mal à comprendre pourquoi des femmes, aujourd’hui, ne sont pas effrayées par ce qui se passe et comment elles peuvent l’accepter. C’est une régression.

Comment contrer l’influence islamiste ?

  • Q : Avec les aumôniers musulmans dans les prisons et dans les forces armées, n’y a-t-il pas, malgré tout, une certaine prise en charge et un certain contrôle de la religion musulmane par des structures étatiques ?
  • Élisabeth Schemla : Oui, il y a des aumôniers en prison, mais quand on sait quel est l’état des prisons… Et je ne parle pas seulement de leur état matériel… Je consacre dans mon livre, à propos de Merah, beaucoup de pages à la prison. Il y a très peu d’aumôniers et ils sont affreusement mal payés. En réalité, les prisons sont, en France, un des grands foyers de l’islam radical. Les aumôniers sont rejetés comme des infidèles par les radicaux parce qu’ils sont considérés comme des « collabos » du pouvoir français.
    Quant au service national, il a été supprimé par le président de la République, Jacques Chirac. Cette décision – compréhensible du point de vue budgétaire et de la modernisation de nos armées–, a eu des conséquences sur l’un des moments clé de la vie d’un Français. Tout à coup a disparu le vivre ensemble, au-delà de la race, de la religion, de la classe sociale, ainsi que la possibilité de rattraper l’analphabétisme ou l’illettrisme.
  • Q : Vous dites qu’il faudrait financer le culte musulman pour sortir de l’impasse dans laquelle nous sommes. Comment allons-nous pouvoir obtenir des contreparties suffisantes pour que l’on puisse parler d’une religion apaisée et non pas d’une idéologie conquérante ?
  • Élisabeth Schemla : On ne peut pas toujours rester dans un rapport de force, sinon la situation va finir par exploser. À la fin de mon livre, je propose des états généraux sur l’islam. C’est très risqué, mais un pouvoir politique qui aurait du courage réunirait tous les acteurs pour examiner l’ensemble des problèmes qui se posent. En réalité, des autorités religieuses musulmanes rencontrent le CRIF, des responsables catholiques ou protestants rencontrent des musulmans, mais cela se passe dans un cadre de rencontres œcuméniques de bonne volonté. C’est important, mais cela n’est pas la prise à bras le corps du problème politique. Je crois qu’on peut peut-être arriver à changer les choses, en modulant la loi de 1905.

(*) Élisabeth Schemla, ancienne rédactrice en chef du Nouvel Observateur et directrice adjointe de L’Express, auteur de Islam, l’épreuve française, Plon, Tribune Libre, 2013. Cette lettre rend compte de son intervention lors d’une conférence de Politique Autrement le 11 janvier 2014.

Notes
[1] Élisabeth Schemla, Islam, l’épreuve française, Plon, Tribune Libre, 2013.

[2] Djamaat Al-Tabligh (en français, Association pour la prédication) est une groupe musulman fondamentaliste.

[3] Fondé au XVIIIe siècle, par Mohammed ben Abdelwahhab, ce courant veut le retour à l’islam originel de l’Arabie Saoudite. Il est rejoint en 1744 par le mouvement salafiste, encore plus intégriste.

[4] On me pardonnera cette expression que beaucoup de musulmans n’aiment pas.

[5] De nombreux exemples sont cités dans Élisabeth SCHEMLA, Islam, l’épreuve française, op.cit.

[6] Le site : proche-orient.info que dirigeaient Elisabeth Schemla et Nicole Leibowitz, a mené pendant six ans une veille médiatique de l’ensemble du monde musulman avec une équipe de journalistes arabes, turcs, iraniens. Cette veille médiatique a donné lieu à des milliers de pages.

[7] On parle de 100 000 convertis aujourd’hui en France, mais il est difficile d’avoir des chiffres précis et vérifiables.

[8] Tareq OUBROU, entretiens avec Samuel LIEVEN, Un imam en colère, Bayard, 2012.

[9] Le régime concordataire en Alsace-Moselle (Haut-Rhin, Bas-Rhin et Moselle) est issu du concordat de 1801 signé entre Napoléon Bonaparte et Pie VII. Il n’a pas été abrogé par le retour au sein de la République française en 1919. Il reconnaît et organise les cultes catholique, luthérien, réformé et israélite et permet à l’État de salarier les ministres de ces cultes.

[10] Olivier ROY, La laïcité face à l’islam, Hachette, Pluriel, 2013.

[11] Gilles KEPEL, Les banlieues de l’islam. Naissance d’une religion en France, Seuil, 1987.

[12] Yolène DILAS-ROCHERIEUX, « Tradition, religion, émancipation », Le Débat, n° 136, septembre-octobre 2005.

[13] Khalida MESSAOUDI, Une algérienne debout, entretiens avec Elisabeth SCHEMLA, Flammarion, 1995.

[14] Élisabeth SCHEMLA, Islam, l’épreuve française, op. cit., p. 65.