- Rencontre avec Rony Brauman, ancien président de Médecins sans frontières (*)-
Contrairement à l’impression que donnent les médias, les catastrophes naturelles ne constituent pas un énorme champ de travail pour les associations d’aide ou les institutions intergouvernementales. Si je devais donner un chiffre, je dirais que l’aide en situation de catastrophe doit au maximum représenter 1% ou 2% de l’aide générale. Pour Médecins sans frontières – mais je crois que je peux étendre cette observation à toutes les institutions -, c’est un sujet permanent de frustration. Avec ses différentes branches nationales, MSF est probablement l’organisation qui a le plus d’expérience dans les interventions en situation de catastrophe naturelle depuis vingt à trente ans. Je suis allé pour la première fois sur une catastrophe naturelle en 1982-1983, j’ai été président de MSF pendant douze ans, et depuis ce moment-là, je me suis toujours demandé quand nous aurions le courage de dire : « On n’y va pas. » Ce courage nous ne l’avons pas eu encore, même si, au mois de janvier de cette année, une semaine après le tsunami, MSF a pris une position à contre-courant difficile à tenir. Mais il aurait été pensable de prendre une position plus radicale : ne pas y aller du tout. Le fait de se poser cette question montre bien les difficultés que nous avons à nous convaincre nous-mêmes que nous sommes utiles dans ce genre de situation.
Tsunami : les raisons d’un grand élan d’émotion
Une caractéristique générale s’applique à toutes les catastrophes : c’est le caractère « pur » des victimes. La victime d’un raz-de-marée, d’un tremblement de terre, d’une inondation n’a, a priori, rien à voir avec la catastrophe qui l’accable. Tandis que la victime d’une épidémie ou d’une situation de conflit est toujours « suspecte ». Quand je dis « suspecte », je ne porte aucun jugement moral ;ce serait même de ma part un hommage. Mais on considère que la victime a joué un rôle, individuel ou collectif, dans la situation où elle se trouve. Dans le cas d’une catastrophe naturelle, les victimes totalement « pures » sont donc offertes à notre sollicitude, à notre soif d’action. D’autant plus que les médias, en particulier la télévision, créent l’illusion d’une aide directe : des gens des gens là-bas sont totalement démunis du fait de la catastrophe ; ici, après Noël, dans la paix et l’abondance – du moins pour certains -, les gens se disent qu’il faut faire quelque chose.
Une deuxième circonstance, qui singularise ce tsunami en Asie, c’est la présence sur place de nombreux Européens. Cette catastrophe est aussi une catastrophe européenne. Depuis 1945, il n’y a pas eu une masse comparable de victimes européennes, puisqu’on estime que 8 000 à 8 500 Européens ont été tués par la vague en l’espace de quelques secondes. C’est l’équivalent d’un bombardement, une sorte de 11 septembre naturel. Cette analogie avec le 11 septembre était sensible : le tsunami en Asie a été, à ma connaissance, le deuxième événement ayant donné lieu à trois minutes de silence. Le rapprochement a été fait en raison de sa dimension internationale « hollywoodienne ». J’emploie ce terme sans aucune ironie : nous avons assisté à un effroyable spectacle.
Une troisième circonstance tient au matraquage médiatique. On a assisté à une sorte de « propagande nord-coréenne ». J’ai conscience de l’énormité du propos. Mais, rarement dans la presse occidentale, on a vu ces dernières années une telle sommation permanente à s’émouvoir, à donner. Pour faire société, pour être dans les inclus, il fallait être dans les grand-messes, laisser un euro au supermarché du coin ou envoyer un SMS devant son poste de télévision. L’injonction de donner était omniprésente. Ajoutons l’aggravation du bilan toutes les quarante-huit heures : de quelques milliers de morts au début, on est passé, en l’espace de quinze jours, à plus de 200 000, pour arriver aujour-d’hui à 300 000, tous pays confondus.
C’est une catastrophe extraordinaire qui se situe parmi les dix premières catastrophes du siècle. Et pour ce qui est des catastrophes ouvertes à l’intervention, je pense que c’est la première depuis une trentaine d’années. Le dernier tremblement de terre ayant entraîné un nombre de victimes probablement comparable, voire supérieur, fut le tremblement de terre en Chine en 1976 qui aurait fait entre 250 000 et 700 000 morts. Mais il n’y a eu aucune intervention internationale, en raison de la fermeture au monde extérieur de la Chine rouge des années 70. La comparaison quantitative est licite, mais du point de vue des réactions, elle n’a pas de sens.
On a parlé de cinq millions de personnes déplacées, dès le début janvier. On sait aujourd’hui qu’il s’agissait de quelques dizaines de milliers. On a parlé de 500 000 blessés, ce qui n’est rien d’autre que le chiffre précédent divisé par dix. On a évalué que pour cinq millions de personnes déplacées, 10% devaient avoir besoin de soins. On a parlé du risque de doublement des victimes de la catastrophe par l’éclatement d’épidémies. On a parlé de typhoïde, de choléra, de dengue (une fièvre hémorragique), de paludisme. On a parlé de dizaines de milliers d’orphelins qui devenaient de plus des victimes imminentes de réseaux mafieux pédophiles. Ces quatre affirmations-là étaient fausses.
Que nous soyons tous saisis par ce qui s’est passé, qu’il y ait eu un formidable élan d’émotion, cela va de soi. Le contraire serait terrible. On vivrait dans un monde de pierres, si nous restions insensibles à ces situations de catastrophe. Mais ces fausses affirmations étaient émises par les agences « compétentes » des Nations-Unies, c’est-à-dire l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l’UNICEF, et elles ont été reprises par un certain nombre d’ONG et de journalistes. C’est précisément cela qui est déconcertant.
Une catastrophe naturelle n’est pas un conflit
Contrairement à ce qui se passe dans une situation de conflit (comme au Soudan, au Congo, au Sri Lanka il y a quelques années, au Liberia, en Sierra Leone, en Angola…), après une catastrophe naturelle, il existe une délimitation nette entre la zone affectée et la zone indemne. Par exemple, au Sri Lanka, selon les endroits, la vague avait atteint une profondeur de cent mètres dans les terres, voire deux cents ou trois cents mètres. De toute façon, il s’agissait d’une bande côtière bien délimitée qui s’étirait tout le long de la côte orientale. Au-delà de cette ligne d’arrêt de la vague, le pays fonctionnait normalement et c’est ce qui explique que les sinistrés aient reçu immédiatement de l’aide, comme toujours dans ce genre de situations. Le voisinage immédiat se mobilise, puis tout le reste du pays, en faveur des sinistrés. Le Sri Lanka est certes un pays en développement, mais il dispose de structures sociales qui ont des moyens de prise en charge efficaces. Les gens qui se trouvent sans secours sont extrêmement rares. Cette dimension primordiale a été largement ignorée et cela est dû, à mon avis, à un mélange de regards : le regard catastrophé, à juste titre, comme sidéré, et les résidus d’un regard « colonial » qui considère ces sociétés comme immatures, incapables de se prendre en charge.
À la différence des conflits, une catastrophe naturelle provoque un nombre de morts bien supérieur au nombre des blessés. On peut considérer que le rapport est en proportion inverse. Dans une situation de guerre, selon que le conflit est urbain ou rural, on compte un mort pour quatre à six blessés. Dans une catastrophe naturelle, c’est le contraire ; le bilan est de l’ordre de cinq morts pour un blessé. De plus, les blessés sont pour la plupart ce que nous appelons, dans notre jargon peu respectueux, des « éclopés », des victimes de petites blessures.
Contrairement à une idée reçue à laquelle il faut tordre le cou, les gens ne sont pas sidérés. Les traumatismes psychologiques sont importants, certes, mais de très nombreuses études et des témoignages directs montrent que dans les dix ou quinze minutes qui suivent la catastrophe, les premiers secours commencent à se mettre en place sous la houlette de personnalités locales. Dans le chaos, des leaders spontanés se mettent en avant. Comme dans un gros embouteillage où des gens sortent de leur voiture et se mettent à régler la circulation. C’est un trait psychologique particulier que l’on rencontre sous toutes les latitudes. Il est renforcé par les initiatives de responsables locaux, politiques, notables, religieux…, bref de tous ceux qui ont des activités qui les mettent en situation de leadership. Dans les vingt-quatre heures, il est rare de trouver des gens totalement dépourvus du minimum pour survivre, même quand ils ont tout perdu. Cette solidarité de voisinage dans l’environnement immédiat de la catastrophe est primordial pour comprendre pourquoi on ne meurt pas de faim, pourquoi on n’est pas totalement abandonné, mais au contraire pris en charge, dans un mouvement de secours locaux.
La résurgence d’angoisses archaïques
Un mythe, plus qu’une légende, qui nous renvoie à des angoisses archaïques, nous fait associer, par une opération mentale, toutes sortes de catastrophes à des épidémies et à de « grands fléaux ». Si bien que, près de cent ans après Pasteur, on continue de véhiculer la croyance selon laquelle les cadavres provoquent des épidémies. C’est tout à fait compréhensible pour des gens qui ne sont pas du métier. Chacun a peur des cadavres. Ils provoquent de l’angoisse, ils exhalent une odeur insupportable, mais ils ne provoquent pas des épidémies… Or, c’est ce qui a été véhiculé, non seulement par toute sortes d’experts autoproclamés qui n’ont jamais vu une catastrophe naturelle de leur vie, mais aussi, ce qui est plus grave encore, par des « experts » reconnus. Le numéro deux de l’OMS, directeur du département Health in crisis (Santé en situation de crise) de l’OMS, a lui-même officialisé la rumeur d’une épidémie à venir en parlant du « doublement du nombre de victimes », alors même qu’il est épidémiologiste. Quand le bilan était de 150 000 morts, il annonçait 100 000 à 150 000 morts supplémentaires…
Pour préciser le niveau du délire atteint, certains pensaient que les eaux stagnantes après le retrait de la vague étaient favorables au développement des moustiques, eux-mêmes porteurs de parasites responsables du paludisme. Ce qui revient à dire que désormais les moustiques se développent dans l’eau de mer et qu’en l’espace de quarante-huit heures, ils peuvent développer une épidémie de paludisme, comme on n’en a jamais vu jusqu’à présent ! On retrouve la génération spontanée d’avant Pasteur et l’on retombe à l’époque des médecins avec le masque à long bec…
Rappelons donc que les épidémies provoquent des cadavres, mais non l’inverse. Les germes qui participent à la décomposition des chairs d’un cadavre ne sont pas pathogènes. S’il n’y a pas d’épidémie avant, il n’y en a pas après. Il n’y a jamais d’épidémie après une catastrophe naturelle. Même après l’ouragan Mitch, qui a dévasté toute l’Amérique centrale en 1998, il n’y a pas eu d’épidémie de choléra, et ce, malgré des marécages d’eau douce et des inondations omniprésentes et en dépit d’une épidémie de choléra qui s’était manifestée quelques années auparavant et qui pouvait laisser quelques foyers ici ou là. Évidemment les gens qui s’intéressent à cette question le savent. L’immense majorité de nos contemporains ne le sait pas. Mais l’ex-numéro deux de l’OMS qui s’occupe de sécurité en situation de crise devrait le savoir. Soit il l’ignorait, soit il le savait, mais ses déclarations n’en sont que plus inquiétantes.
Ce n’est pas seulement le goût de la vérité qui pousse à redresser ce genre de propos, mais au moment où ils sont tenus, il existe suffisamment de problèmes pour la prise en charge par les autorités et les populations locales, pour ne pas en rajouter. Si à l’inconfort et au malaise que suscite la présence de cadavres, on rajoute l’angoisse de tomber malade dès qu’on s’en approche, on n’aide pas. Ajouter de la peur à la peur, de l’angoisse au chaos, c’est enfoncer tout le monde. En certains endroits de l’Indonésie, pour la vie quotidienne, pour la survie psychique, il était important de débarrasser le paysage des nombreux cadavres. Mais ailleurs on a procédé à l’enfouissement précipité des cadavres par simple peur des épidémies. De plus, la mise en œuvre de campagnes vaccinales, avec l’arrivée d’une logistique appropriée mobilise des moyens, notamment de communication et de transport, ce qui alourdit les dispositifs de secours à un moment où il faut au contraire les alléger, les rendre plus flexibles, plus efficaces.
Enfin, les orphelins… En proportion, plus d’enfants que d’adultes ont été frappés. Non pas parce que les enfants sont les éternelles victimes des catastrophes, mais parce que les enfants sont plus spontanément sur les plages que les adultes. Ce qui laisse perplexe sur la façon dont les orphelins ont été détectés. Ce sont plutôt des parents qui ont perdu leurs enfants que le contraire. Mais de plus, il n’y avait pas d’enfants errants à Banda Aceh, Trincomalee. Il y avait, et pour cause, des enfants dehors. Mais j’ai eu des témoignages de gens de MSF qui ont été pris à partie, notamment en Indonésie, par des gens furieux d’être traités collectivement de sadiques pédophiles, alors que les enfants étaient au contraire pris en charge correctement. Certes, les mafias ne sont pas de pures inventions occidentales, comme il existe des consommateurs locaux ou internationaux. Combien parmi les 8 500 morts du Sri Lanka, de Thaïlande et d’Indonésie, étaient des touristes sexuels ? Cette question qui a traversé beaucoup d’esprits n’a jamais été formulée, à juste titre… Elle a quelque chose d’obscène, d’insultant. Alors, si on ne l’a pas formulée pour une partie des populations affectées, pourquoi l’a-t-on fait, au nom des bons sentiments, au nom de l’aide humanitaire pour les enfants, en direction des Indonésiens, des Thaïlandais et des Sri Lankais ? Sans états d’âme, la directrice générale de l’UNICEF, a répandu cette « information » affirmant que les équipes de l’UNICEF étaient à pied d’œuvre sur le terrain, par centaines, pour sauver ces gamins qui allaient être attrapés par les rapaces.
En fait, chaque organisation mettait en avant les conséquences de la catastrophe qu’elle pouvait traiter. Chacune a fabriqué les victimes dont elle pouvait s’occuper. L’OMS fabrique des épidémies, l’UNICEF des orphelins, d’autres des famines, d’autres le manque d’eau… Cette pseudo-information sur les conséquences du tsunami était directement issue des départements de communication des différentes organisations concernées et non d’un savoir et d’une observation collectés sur le terrain.
Quelle intervention des ONG ?
Dans une situation de catastrophe, on peut distinguer trois phases. Dans les quarante-huit premières heures, les secours locaux s’organisent. Ils sortent les blessés, désencastrent les personnes emprisonnées dans des décombres, logent les sans-abri, donnent de la nourriture…
Puis, dans un deuxième temps, la logistique se met en place. Sur ce plan, les hélicoptères américains ont été un des points d’aide les plus utiles apportés de l’extérieur. Des engins de travaux publics, des pompes, des systèmes de communication, des procédés de stockage et d’adduction d’eau sont acheminés. En Indonésie (mais non au Sri Lanka) en certains endroits, des équipes chirurgicales extérieures ont pu être utiles, car la catastrophe était d’une telle ampleur que les équipes locales ont été débordées. À Banda Aceh où il y a eu 270 000 morts, un grand nombre d’équipes chirurgicales sont venues de l’extérieur. Quelques-unes d’entre elles ont travaillé pendant les premiers jours, entre le 28 décembre et le 10 janvier. Ensuite, elles n’ont plus été nécessaires et les équipes locales ont repris leur travail. Je parle de Banda Aceh qui a connu des circonstances exceptionnelles. Ailleurs, les chirurgiens ont tourné en rond, tentant de se rendre utiles, se disputant éventuellement pour opérer un blessé. Cette deuxième phase engage des aides utiles auxquelles s’ajoutent une masse des choses inutiles qui vont des vaccins aux médicaments sous toutes les formes et absolument inutilisables ; sans parler des vêtements, des couvertures, des chaussures de ski, des bonnets de laine… Les entrepôts sont engorgés d’un inventaire à la Prévert.
La troisième phase, c’est celle du relogement, du rééquipement en biens d’utilité immédiate et elle se confond avec la reconstruction à plus long terme. La reconstruction est une affaire de pouvoirs publics, avec des plans d’urbanisme, des orientations prioritaires, des choix. Il faut envisager des ponts, mais aussi des prisons et des commissariats, car il n’y a pas que des écoles et des dispensaires à reconstruire. Seuls les pouvoirs publics, au niveau central ou périphérique (le district, la commune…) sont non seulement compétents, mais incontournables. Il existe des entreprises de travaux publics, des experts en bâtiment, en architecture…
Dans tout cela, je ne vois nulle part le rôle des ONG. La construction est une affaire de banques, d’entreprises, de pouvoirs publics, de municipalités. Certes de l’argent peut venir de l’aide internationale. Elle jouera son rôle. Mais ce ne sont pas la Croix-Rouge, Médecins sans frontières ou Action contre la faim qui financent l’État sri lankais ou la municipalité de Batticaloa. Ce sont les pouvoirs publics, avec l’honnêteté toute relative qu’on leur connaît au Sri Lanka ou en Indonésie… La corruption n’est d’ailleurs pas un privilège de ces pays, même si elle y est plus développée. Mais, de toute façon, nous n’y pouvons rien. Les ONG ne vont jouer qu’un rôle marginal pour reconstruire ici ou là un petit village modèle, même si la tentation est grande d’imposer une vision collectiviste : puisque le village est financé par une ONG, il faut rationaliser les coûts, et l’on voir surgir une cité modèle de quarante maisons de 43,50 m2, à l’identique… Et il faut dépenser vite, pour justifier l’ardeur à la collecte dont on a fait preuve.
Les ONG submergées par les dons
Le matraquage médiatique a au moins permis de distinguer les médias audiovisuels des médias écrits. J’ai eu le sentiment de lire des informations intéressantes dans la plupart des articles écrits, tandis que je n’entendais dans les médias audiovisuels qu’un ramassis de bobards invraisemblables et une sommation répétée à donner. Comme si ces derniers avaient spontanément vu dans le tsunami un indicateur de leur puissance, de leur capacité de mobilisation. Pour sa part, la presse écrite a gardé un rôle plus cadré, plus modeste.
Les réponses au don, induites par les télévisions, étaient d’une certaine manière un audimat. Et c’est pourquoi il faut être plus sévère pour France Télévision dont les exigences de service public ne sont pas la fabrication de « cerveaux disponibles » pour les écrans publicitaires, comme l’a revendiqué le PDG de TF1. Il est de notoriété publique qu’Etienne Mougeotte est membre du conseil d’administration de la Croix-Rouge. Celle-ci a été mise en avant par TF1 et elle se retrouve avec une centaine de millions d’euros collectés, alors qu’au plan international elle dispose de peu de moyens opérationnels d’intervention pour canaliser cette masse d’argent. Il en va de même pour de nombreuses sociétés de Croix-Rouge de grands pays (Allemagne, Angleterre, Etats-Unis, Italie…), puisque le total mondial collecté par la Croix-Rouge est de l’ordre d’un milliard et demi de dollars !
Le paysage actuel est celui que Libération décrivait le 6 avril : « Les ONG françaises submergées par l’argent du tsunami. Passée la phase d’urgence en Asie, la majorité des fonds ont été placés ». Et Thomas Hofnung conclut son article par ces mots : « Les associations n’ont pas fini de se creuser la tête pour savoir comment utiliser à bon escient l’argent qui leur a été confié [1]… »
Je ne sais pas si MSF sera plus épargnée du fait de la position qu’elle a prise très tôt. Le 3 janvier, huit jours après la catastrophe, elle annonçait qu’elle avait assez d’argent pour le tsunami. Déjà, à ce moment-là, on avait trop d’argent, mais MSF a été pris de court. Personne ne pouvait prévoir, dans les premiers jours, une telle mobilisation. L’argent qui est arrivé après la date du 6 janvier, compte tenu des délais de la poste et de ce mouvement de donation, doit pouvoir être utilisé par MSF au profit d’autres opérations (Darfour, Congo…). Mais pour la quasi-totalité des ONG qui ont décidé de collecter sur cette catastrophe, la situation est aujourd’hui très tendue, car il y avait effectivement trop d’argent. Les besoins annoncés n’existaient pas. J’ai entendu d’éminents leaders d’ONG annoncer que leurs équipes prenaient en charge des camps de réfugiés de 80 000, 100 000 personnes, qu’elles étaient sur le terrain… alors qu’il n’y avait, à proprement parler, aucun camp de réfugiés. En certains endroits, il y avait des regroupements provisoires de quelques centaines de personnes.
L’aide a fonctionné. Mais, à 80%, ou même 100% des cas en certains endroits, elle a été apportée par le voisinage. Ne reproduisons pas ce que j’appelle un peu hâtivement le « réflexe colonial ». L’aide ne s’appelle pas aide parce qu’elle vient de l’extérieur. Je n’ai pas vu dans les médias d’images de l’aide prodiguée par la population locale, alors qu’elle en constituait l’immense majorité. Cette catastrophe appelait une quantité de secours infiniment inférieure à celle qui était demandée. L’aide extérieure n’est utile qu’à la marge en cas de catastrophe naturelle. C’est l’aide à la reconstruction qui est importante.
Débat
« Nous avons perdu le sens de l’action humanitaire »
- Témoignage de Guillaume Kopp, chef de mission à Sri Lanka –
Je me retrouve bien dans certains propos tenus par Rony Brauman et je vais tenter de vous donner une idée de la façon dont une mission vit une catastrophe et cherche à y répondre, ainsi que des pressions auxquelles nous avons été confrontés. Nous avons dépensé de l’énergie pour aider les victimes, mais aussi pour nous opposer aux décisions de notre ONG, car celles-ci ne nous paraissaient pas conformes à l’idée que nous nous faisions de l’action humanitaire. Pour une partie de l’équipe – et nous n’étions pas la seule ONG dans ce cas – cette situation a été dure à vivre en terme de conscience.
Dès le jour de la catastrophe, nos équipes ayant été touchées par le tsunami, il fallait donc d’abord, pour être efficace, que l’on reconstitue moralement, physiquement, matériellement la mission. Ensuite, nous avons été admiratifs de la façon dont les Sri-Lankais eux-mêmes étaient debout au lendemain du tsunami, après vingt ans de guerre civile, de cyclones, d’inondations, de sécheresses. Les Tamouls ont affrété des camions pour aider les Cinghalais et réciproquement, ces deux communautés s’étant pourtant fait la guerre pendant vingt ans. C’est le côté positif de la catastrophe pour ce pays qui n’a pas d’unité nationale, mais qui, pour la circonstance, s’est véritablement ressoudé, au moins pendant quelques jours.
La première information que nous avons donnée au siège de l’ONG, est que nous étions en présence d’une catastrophe sans crise humanitaire. Je pensais que notre ONG qui avait l’expérience de ce type de crise, tiendrait compte de l’information venant de la mission. Mais notre propos n’a pas du tout été entendu. L’élan médiatique a été tel, que la réalité était déformée.
Deuxième surprise : parmi les premiers professionnels envoyés pour nous soutenir figuraient des chargés de communication. J’ai découvert à cette occasion un phénomène que j’ignorais : la collusion d’intérêts entre les médias et les ONG. Des accords avaient été passés entre certaines chaînes et l’ONG. J’ai appris ensuite que ces chaînes avaient contribué financièrement à l’ONG. De plus, sur place, certaines choses devaient être montrées en priorité à d’autres que nous entreprenions : le choix de notre mission était de traiter le problème de l’eau. Surtout pas en procédant à des distributions, car les populations s’entraidaient. On peut éventuellement montrer une fois la construction de latrines au journal du « vingt heures », mais pas deux… Ce qui est médiatiquement plus fort, c’est le don d’un paquet à des mains qui se tendent. Selon une stratégie de positionnement sur le marché humanitaire, trois avions ont débarqué avec, en particulier, des paquets à distribuer : des biscuits nutritionnels, quelques tentes… Nous avions dit que nous n’en avions pas besoin. Mais une distribution, ça a une autre allure que des latrines…
Nous avons apprécié d’être soutenu, mais pas de cette manière. L’effet de dramatisation n’a pas permis de comprendre qu’il s’agissait d’une catastrophe sans crise. Du coup la réponse a été faussée. C’est un effet de la collusion d’intérêt entre les ONG et les médias. Les journalistes qui venaient nous voir n’avaient qu’un souci, avoir une information sur le vif mais scénarisée , venue du terrain, donnée par un humanitaire. De même que l’organisation humanitaire faisait appel au journaliste pour se donner plus de notoriété. Cette collusion d’intérêt qui fait boule de neige empêche de comprendre la réalité de la situation.
Nous avons également été frappés par le « cirque humanitaire ». À Trincomalee, une ville touchée par le tsunami à l’est, le nombre d’ONG présentes est passé en dix jours de sept à soixante, avec par exemple le retour de MSF qui avait quitté Sri Lanka auparavant. Toutes ont participé à une foire d’empoigne. Les autorités sri-lankaises – Sri Lanka est un État, avec une administration importante, même si elle est peu efficace – ont été d’abord très ouvertes à cette arrivée massive, puis très vite dépassées. Nous avons été témoin d’une tactique de type « colonial » consistant à découper des zones réservées. Autour du préfet, c’était la surenchère : « Nous allons aider 200 000 personnes en donnant tant de tentes… Nous allons construire 300 latrines… Nous allons distribuer 5 000 tonnes de couvertures… » Beaucoup d’effets déclaratifs dans le positionnement local, non suivis d’actes réels.
À Sri Lanka, j’estime que l’humanitaire a agi contre l’intérêt du pays et parfois même contre celui des victimes. Dans les camps qui se sont formés, peu nombreux et pas très grands en effet, la situation est devenue telle que les victimes que nous allions aider nous disaient : « Nous n’avons plus besoin de rien. Arrêtez. » On retrouvait autour des camps des amas de produitsdivers,lesvictimesn’en voulant plus. Je confirme qu’un camp doit être provisoire, car il détruit une structure sociale locale. De plus, les villages alentours se vidaient pour rejoindre les camps sachant qu’il y avait beaucoup de biens à disposition. Du coup, des camps sont devenus pérennes et ont en partie vidé des villages. Rony Brauman posait la question : « Fallait-il y aller ? » L’ONG, pour laquelle j’étais en mission, se trouvait à Sri Lanka depuis sept ans. Fin janvier, j’ai pensé : « Il faut qu’on parte ».
Un mot encore sur les zones de destructions. Il est vrai, comme l’a dit Rony Brauman, que l’on peut, en particulier dans le cas d’un raz de marée, distinguer nettement la zone détruite de la zone non détruite dans laquelle le pays continue de fonctionner. Mais il se trouve qu’à Sri Lanka la zone détruite recouvrait partiellement une zone de conflit. Et la confusion existait bel et bien entre les autorités gouvernementales et celles des Tigres tamouls. Parmi les ONG arrivées dans le pays, nous avons observé beaucoup d’amateurisme et beaucoup d’arrogance. Le conflit à Sri Lanka était complexe avec des enjeux stratégiques forts de la part du gouvernement et des Tigres tamouls. À la faveur de la catastrophe, le gouvernement a renforcé ses positions par l’intervention de l’armée à l’est et tandis que les Tigres tamouls renforçaient les leurs dans le nord, avec leur propre organisation humanitaire. Les ONG nouvellement arrivées n’ayant que le souci de dépenser leur argent et de le justifier auprès des donateurs, sont entrées, quelques fois sans le savoir, dans cette stratégie sous-jacente opposant gouvernement et Tigres. Notre mission a constaté que le comité de Genève de la Croix-Rouge, installé à Sri Lanka depuis des années, a confié aux Tigres la distribution de 5 000 kits de survie, alors que normalement la Croix-Rouge, plus que tout autre organisation, doit rester neutre. Il a été créé un précédent grave, donnant une légitimité aux Tigres qu’ils cherchent à avoir depuis longtemps. Nous avons pu constater que les Tigres déplaçaient les populations dans leszonesqu’ilscontrôlaient,afinderécupérer de l’aide. De soncôté, le gouvernementn’apascessé de déplacer des populations, d’un camp à un autre (écoles, mairies, préfectures, avec des tentes autour) pour s’assurer le contrôle des populations. Du fait de ces déplacements permanents, nous étions en train de courir derrière les victimes.
Sur le plan économique, l’aide humanitaire a des effets destructeurs. Les ONG ayant cherché à dépenser au plus vite les sommes astronomiques reçues, elles ont acheté sur place des produits non affectés. C’est bon pour l’économie du pays jusqu’à un certain stade seulement. Car des pénuries ont été créées, entraînant une augmentation du prix des produits de base. Le résultat était que les populations locales ne pouvaient plus acheter ces produits. Ainsi le cours du riz a été multiplié par deux en janvier.
Il y a eu un effet d’aubaine cataclysmique. J’ai vu la façon dont l’ONG pour laquelle j’ai travaillé, mais dont j’ai démissionné, a utilisé cette catastrophe avec une stratégie communicationnelle, en collusion avec des chaînes de télévision, pour obtenir une « taille critique » et « se positionner sur le marché humanitaire », selon les propos de nos responsables quand ils nous ont rendu visite à Colombo. Cette catastrophe a été l’opportunité d’exister parmi les grands, à long terme, comme l’une des principales ONG humanitaires, « parce qu’on a les compétences », « parce qu’on est meilleurs ».
Ayant travaillé auparavant dans l’industrie comme responsable des ressources humaines, j’ai retrouvé les mêmes tactiques : politique de marketing, recours à des consultants, pour assurer un positionnement à moyen et long terme. Du coup, je pense que dans cette affaire nous avons perdu notre âme. Il n’est pas nécessaire d’atteindre une « taille critique » pour être efficace et agir en conscience.
Résister aux pressions
- Rony Brauman : Votre témoignage va dans le sens de mes propos. Je retiens cependant cette bonne question qui m’est adressée, même si elle est pour moi gênante : « Pourquoi est-ce que MSF y est allé ? » Je l’ai dit précédemment, MSF n’a jamais eu le cran, sous ma présidence ou celles qui ont suivi, de dire : « On n’y va pas ! ». Ce sont de mauvaises raisons, car un certain nombre d’entre nous savent bien qu’il vaudrait mieux ne pas y aller. L’une des raisons est l’extraordinaire pression, non seulement la pression médiatique, mais plus largement la pression sociale qui s’exerce sur nous et qui nous met dans une situation très délicate à l’égard des gens qui nous soutiennent. Le seul fait de déclarer que nous avions collecté assez d’argent a provoqué des réactions diverses. Les plus gentilles nous reprochaient d’avoir mal communiqué. D’autres nous ont traités de « tueurs de rêves », de « tueurs d’aide », d’« hystériques de la pureté », d’« ayatollahs de l’humanitaire »…
Il est également très délicat d’affronter la pression interne. Une ONG est une tranche de société. J’ai publiquement dénoncé les faux risques sanitaires et critiqué les gens qui énonçaient de telles affirmations mensongères ou pour le moins erronées. Mes déclarations ont provoqué à l’intérieur de MSF des réactions me reprochant de « divaguer ». Comment pouvais-je savoir qu’il n’y aurait pas d’épidémie ? L’ardeur, l’enthousiasme incitent à y aller, d’autant que les catastrophes naturelles ne représentent qu’une part infime de notre action, comme je le disais. En fait, peu de gens à l’intérieur de MSF ont une expérience directe des catastrophes naturelles. Du coup, toutes sortes de clichés qui circulent dans la société se sont retrouvés dans l’ONG. Le président de MSF était sur les mêmes positions que moi. Il a longtemps été responsable du pool d’urgence de MSF, il a une forte expérience de situations de crises majeures et il savait à quoi s’en tenir. C’est bien pourquoi il a défendu avec tant de conviction et de certitude ce qu’il disait sur les collectes de dons. Mais retenir l’élan de solidarité et le besoin d’agir qui se manifestent à ce moment-là est tout simplement impossible.
L’autre question que vous posez est la suivante : « Une fois qu’on y est, faut-il continuer ? » MSF a été chassé de la région de Banda Aceh, il y a deux ans, parce qu’il y avait la guerre. Le tsunami nous a donné l’occasion d’y retourner. J’étais ce matin à MSF et j’entendais des gens se demander ce qu’on faisait là-bas. Nous sommes dans deux hôpitaux ; on y travaille, mais les médecins indonésiens pourraient très bien se passer de nous. On reste à cause d’un conflit qui, pour l’heure, est éteint. Mais j’ai confiance dans les capacités d’autocritique de MSF et j’espère qu’on va rapidement plier bagage de l’Indonésie, ou trouver de quoi être plus utiles
Où va l’argent ?
- Q : Est-ce que toutes les ONG garantissent à leurs donateurs que les dons seront consacrés à la cause pour laquelle ils ont donné ? Est-ce qu’il y a une obligation morale, légale, comptable… qui interdise d’affecter ces dons à une autre cause ? Que vont faire les ONG de toutes ces sommes récoltées ?
- Rony Brauman : Les ONG n’ont pas vraiment d’obligation légale au sens strict, car la législation semble floue sur ce point. Mais les décisions de la cour des comptes vont dans ce sens et elles se sont donné elles-même, en tout cas, une obligation morale. En effet, la plupart des ONG françaises sont membres d’une organisation qu’elles ont créée, le Comité de la charte, dont l’objectif est d’assurer une vérification des comptes et de créer une déontologie de l’usage des dons. Pour le Comité de la charte, donc pour tous ses membres, il est impératif de respecter la volonté des donateurs pour l’affectation de leurs dons. Il peut y avoir réaffectations, mais ce n’est possible qu’avec l’accord des donateurs.
C’est pour cette raison que depuis fin janvier, MSF (mais je pense que d’autres organisation l’ont fait) a commencé à appeler ses donateurs pour obtenir leur accord pour la réaffectation de leurs versements. 80% d’entre eux acceptent, mais 20% maintiennent l’affectation de leur don. Dans ce cas, il faut les rembourser, ce qui en période fiscale crée une certaine confusion à cause des reçus fiscaux et des déclarations de revenus. - Q : Quel a été le rôle des États des pays non victimes ? On assisté à une escalade des dons entre les États-Unis, l’Allemagne… Mais les pays victimes ont refusé certaines aides…
- Rony Brauman : Le rôle des États est avant tout l’aide au financement de la reconstruction. Les situations sont diverses. La Thaïlande et l’Indonésie ont accepté l’aide d’urgence et l’aide à la reconstruction, mais refusé la remise de leur dette. Annuler leur dette aurait eu, selon eux, des conséquences néfastes par la diminution de leur crédibilité financière et leur capacité à accueillir des investissements ou à emprunter. L’Inde a refusé, à juste titre, l’aide d’urgence, ce qui est pour elle une tradition. A l’échelle de l’Inde, ce qui s’est passé était parfaitement contrôlable. Elle a connu d’autres catastrophes bien plus graves qui n’ont donné lieu à aucune mobilisation internationale. Mais l’Inde souhaite être aidée pour la reconstruction. Elle a refusé bien sûr toute remise de dette.
Le proche et le lointain
- Q : Les réactions irrationnelles face au tsunami semblent révéler une passion compassionnelle pour l’exotisme (et non pour le proche, le SDF). Les plans lancés pour lutter contre la pauvreté en France intéressent moins. Les sommes énormes récoltées pour l’Asie auraient aidé à la construction de logements sociaux pour les « exclus » en France. Il semblerait que la victime lointaine mobilise davantage que la proche…
- Rony Brauman : Toutes les catastrophes naturelles, à l’exception d’une seule, dans mon expérience d’une trentaine d’années, suscitent un élan qui est hors de proportion avec la réalité des besoins. Ce serait le cas si la France était frappée et d’ailleurs, on l’a entrevu au moment des inondations de Vaison-la-Romaine. On le constate aussi à l’occasion du Téléthon annuel. Mais on voit bien qu’on n’arrive pas à faire avec le Sidaction ce qu’on fait lors du Téléthon. Je ne crois pas que ce soit l’exotisme qui joue, mais plutôt que c’est parce qu’on ne retrouve pas la même « innocence » chez ces deux catégories de malades. C’est ce sentiment qui donne libre cours à un apitoiement que rien n’entrave.
Quelle médiatisation ?
- Q : Vous avez parlé de « propagande victimaire », mais il existe un besoin étonnant de la société de donner à des victimes. Les médias audiovisuels reprennent et amplifient ce besoin. Quand peut-on dire qu’il y a surmédiatisation ?
- Rony Brauman : Quand je parle de « propagande », je parle précisément des mensonges assénés. Je ne parle pas de l’énorme machinerie de la déploration et de l’héroïsme qui s’est mise en route. Ce qui m’a d’abord sidéré, avant la surmédiatisation, c’est le nombre de contre-vérités proférées en peu de temps. Je ne sais pas quelle serait la médiatisation « normale » d’une catastrophe, je ne peux donc pas dire quand elle est excessive, ni à partir de quand la catastrophe doit quitter la « « une » des journaux. C’est le traitement « héroïco-moral » auquel on a assisté dans la presse audiovisuelle qui est un problème selon moi, et qui induit le reste, c’est-à-dire la surenchère permanente.
(*) Cette lettre rend compte du Mardi de Politique Autrement qui s’est tenu le 12 avril 2005.
Rony Brauman est l’auteur, notamment, de L’action humanitaire, Flammarion, nouvelle édition 2001 et de Les médias et l’humanitaire, (avec René Backmann), CFPJ, 2001.
Notes
[1] Libération, 6 avril 2005