– Rencontre avec Marie-Ange Coudray –

La surmortalité pendant la canicule et le problème récurrent du financement du système de santé ont de nouveau fait apparaître les difficultés et les graves dysfonctionnements existant au sein des hôpitaux. Les signes de la crise de l’hôpital public sont manifestes : pénurie d’infirmières, attentes dans les services d’urgence, « grèves » et manifestations, démissions de chefs de service… Si tout le monde s’accorde pour dire que l’hôpital public va mal, encore s’agit-il d’essayer d’en cerner les causes. Deux types d’explication sont souvent mises en avant dans les débats : le manque de moyens ou le manque de rigueur dans la gestion.
Le texte de Marie-Ange Coudray, infirmière, directrice de l’Institut de Formation des Cadres de Santé Île-de-France [1] que nous publions, montre que ces facteurs bien réels ne peuvent, loin s’en faut, expliquer le mal-être et les dysfonctionnements des hôpitaux publics. Ils doivent en fait être resitués dans des évolutions sociales et culturelles qui mettent directement en jeu la conception même de la santé. La revendication de l’autonomie individuelle, la notion d’« acteur » de sa propre santé et leur traduction en termes de « droit à » sont désormais présentes dans le rapport à la maladie. Tel n’est pas le moindre des paradoxes dans un domaine où les individus se trouvent confrontés à la limite, à la souffrance et à la mort, et qui implique précisément l’aide et les soins des autres. On glisse facilement de la notion de « patient » avec ce que ce mot implique de rapports de dépendance, à celle de client avec ses « besoins » et ses exigences qu’il faudrait satisfaire dans l’instant. Au sentiment fataliste de résignation devant la maladie et la mort a succédé la volonté de repousser sans cesse les limites du possible. Le modèle de la jeunesse éternelle, le culte intériorisé de la performance, le modèle du client roi… entraînent un type de rapport à la vie et à la santé impossible à satisfaire. Si des réformes sont nécessaires, encore s’agirait-il d’aborder frontalement ces questions, plutôt que de « surfer », là aussi, sur les évolutions et la « demande sociale » en essayant d’y répondre dans une optique étroitement gestionnaire et comptable.
Ces évolutions culturelles, peu abordées dans les discours sur l’hôpital, constituent une dimension essentielle de sa crise. C’est aussi en portant le débat et la contradiction sur ce plan qu’on peut garder figure humaine aux pratiques de soins qui engagent une conception de la condition humaine. L’hôpital est en train de vivre des changements avec des effets de déshumanisation dont il importe de prendre la mesure.

Politique Autrement

Quelle « demande » de santé ?

Inflation de la demande et restrictions budgétaires

L’hôpital est placé dans une situation paradoxale : il se trouve confronté à une inflation de la demande croissante des patients, alors que les responsables politiques ne cessent de répéter qu’il est de moins en moins possible d’y répondre sur le plan économique. L’exemple des urgences est très révélateur. Lorsque quelqu’un a mal aux dents à minuit, – je caricature à peine -, il ne va pas voir un dentiste. Sachant désormais qu’il a le « droit » de ne plus souffrir, il va à l’hôpital. Si quelqu’un glisse au même moment sur le verglas, le patient qui a mal aux dents devra attendre deux, trois ou quatre heures. Depuis quinze ans, on ne cesse de répéter qu’il faut un médecin traitant entre le patient et l’hôpital, pour s’occuper de la « bobologie », certes importante pour le patient, mais qui n’est pas du ressort des urgences d’un centre hospitalier.
Les hôpitaux sont surchargés. Aujourd’hui, 70% des gens meurent à l’hôpital. Il est arrivé qu’une personne atteinte d’un cancer en phase terminale ait dû attendre sept heures aux urgences avant d’être prise en charge. Nous sommes confrontés à une logique terrible. Que faire de cette personne en fin de vie, lorsqu’on n’a pas de place pour les autres, lorsqu’on n’a pas les moyens financiers pour l’accueillir, lorsque le médecin ne peut pas s’en occuper et que l’infirmière n’a même pas le temps de lui parler ? On aimerait aider cette dame en train de mourir, mais il ne nous est pas possible de le faire. C’est un exemple extrême, mais fréquent et significatif.
Sur le plan financier, le déficit ne cesse de se creuser. Les dépenses de santé augmentent régulièrement d’année en année. Les médicaments, les soins ambulatoires et l’hôpital jouent, dans cet ordre, un rôle essentiel en volume dans la croissance de la consommation de soins et de biens médicaux. Toutefois, en valeur, ce sont les soins hospitaliers suivis des médicaments et des soins ambulatoires qui ont contribué aux plus fortes augmentations.
_ En 2003, le déficit prévu du projet de loi sur la Sécurité sociale est de 3,9 milliards d’euros. Mais on sait que le déficit de 2002, de 3,3 milliards d’euros, est dû essentiellement au déficit des recettes envisagées. Une diminution d’un seul point du PIB réduit les recettes de 1,5 milliards d’euros. Par contre, un seul point d’augmentation de la masse salariale en France réglerait le déficit actuel de la sécurité sociale. Jean-François Mattei, ministre de la santé, exclut une augmentation des cotisations qui serait forcément impopulaire. Nous sommes confrontés à un phénomène classique : les dépenses augmentent de 5 à 7% par an, tandis que les recettes augmentent beaucoup moins rapidement. Un contrôle plus serré des dépenses est nécessaire. Même si elle n’est pas du tout dans la culture médicale, cette idée commence à faire son chemin.
Ces tendances à l’augmentation des dépenses de soin ne vont que s’accentuer, comme dans tous les pays industrialisés. Le progrès technique est coûteux et les transformations du rapport au corps et à la maladie pèsent sur les comptes. Le vieillissement est un facteur supplémentaire : des études ont montré qu’on dépense beaucoup plus dans les cinq dernières années de sa vie et bien des personnes ont accès à des soins qu’elles n’auraient pas eu autrefois. Il faudra bien se poser les vraies questions : soit rationner le système, soit y mettre le prix.

Les nouveaux droits du malade

C’est dans ce contexte difficile que, depuis la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, un nouveau pouvoir trouve une légitimité dans l’hôpital : le pouvoir des patients. Le changement introduit est considérable. Il ne tient pas tant au fait que le médecin doive informer le patient de sa maladie (il le devait déjà en théorie), ni que le patient puisse refuser les soins (il le pouvait déjà, sans toujours le savoir). D’après le texte de loi, il convient de trouver un nouvel équilibre des relations soignants-soignés pour instituer un véritable partenariat : « Toute personne prend, avec le professionnel de santé, et compte tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé ».
Il s’agit bien d’un changement culturel auquel les médecins ne sont pas préparés et qui nous vient directement de la culture d’« autonomie » des États-Unis. Traditionnellement, notre culture médicale – suivant en cela la culture de la société française -, était fondée sur la protection et le paternalisme : « C’est bon pour ce que vous avez. Je sais mieux que vous ce qui est bon pour vous ». Ces idées ont bercé les études de nos médecins, voire de nos infirmières, de tous ceux qui savent pour les autres. Rien, jusqu’à maintenant, ne troublait ce discours. Ce qui est nouveau à présent, ce n’est pas seulement l’état d’esprit de plus en plus revendicatif et exigeant des patients, mais la légitimation de cet esprit revendicatif sous forme de droits. Tout le monde le comprend quand il est dans la position du soigné, mais cela engendre des modifications profondes de comportement pour le corps médical dans son ensemble, pour les structures de soins, et remet en question la reconnaissance sociale de ces professions et le statut du « savoir ».
On reconnaît ici l’influence des groupes de patients et en particulier des groupes de malades atteints par le SIDA. Ce sont eux qui ont induit ce grand changement. Il a fallu, en effet, leur dire la vérité, alors qu’on avait pu cacher le diagnostic pendant longtemps à ceux qui étaient atteints de cancer. Ils se sont regroupés et ont exigé d’en savoir davantage. Ils ont fini par mieux connaître leur maladie, ce qui a modifié les rapports de pouvoir et fait réfléchir les autres catégories de malades atteints en particulier des maladies dites chroniques.
À ceci s’ajoute un autre changement exprimé par les patients, le désir du non-acharnement, c’est-à-dire à la fois la volonté d’être soigné, mais de ne pas l’être trop, ou dans des proportions qui maintiennent la qualité de la vie. Le temps où quantité et qualité se rejoignaient est déjà loin et on sait que la prolongation de la vie peut se faire au prix d’une existence non seulement médiocre, mais carrément inhumaine. D’où le choix de certains de « mourir dans la dignité », ou en tout cas de refuser parfois pour leur parent des soins qui confinent à l’acharnement thérapeutique. Pour le corps médical, cette évolution ne va pas de soi.
Ces phénomènes marquent un changement culturel profond. Les patients ont des droits : le droit de décider pour leur propre santé, ce qui constitue une vraie révolution pour le corps médical ; ils revendiquent le droit de pouvoir profiter du maximum de la science, mais aussi de ne pas en profiter lorsqu’ils ne le souhaitent plus. Les médecins ont des responsabilités : ils se doivent d’être efficaces tout en étant soumis d’une certaine façon aux désirs des patients. Ils doivent apprendre non plus à « ordonner » ou à « faire des ordonnances », mais à convaincre, persuader et apporter des informations contradictoires pour que le patient puisse décider. Les médecins voient donc leur position traditionnelle remise en cause par des gens qui ont moins de savoir médical et scientifique, mais qui se connaissent et veulent poursuivre ou non un traitement, avec ce médecin ou un autre, en fonction de leurs intérêts personnels.

Un principe de précaution effrayant

La question du risque jette également le trouble dans les repères concernant les rapports entre les médecins et les patients. Auparavant, c’était le médecin qui prenait le risque de pratiquer une thérapie et, si celle-ci ne marchait pas, on savait que le risque zéro en médecine n’existe pas. Mais les questions du sang contaminé et du risque nosocomial à l’hôpital ont montré comment le patient pouvait attraper dans l’établissement hospitalier, du fait même des structures, un germe ou une affection qu’il n’avait pas à l’entrée. Cette question de l’aléa thérapeutique a été prise en compte par la loi en mars 2002 et a donné lieu à des ruptures de contrat de la part des assurances.
Il existe donc une contradiction entre l’application d’un principe de précaution qui n’a pas de sens dans un milieu hospitalier, car il peut ralentir l’avancée scientifique, et un dédommagement des risques, alors même qu’ils ont été pris dans l’intérêt du patient. Le médecin est tenu de prouver qu’il a bien informé celui-ci de l’ensemble des risques encourus et on voit fleurir des documents de « prévention » expliquant que pour tel type d’anesthésie l’opéré a « x » chances de mourir ou d’avoir une hémiplégie, mais que si l’intervention n’a pas lieu, il a « x » chances d’y rester. J’ai vu distribuer ces documents de deux pages, effrayants, écrits en petits caractères, à des personnes devant être traitées par sismothérapies (électrochocs), ce qui démontre bien le ridicule de l’affaire. La médecine devient-elle un simple calcul de probabilités ? Ces papiers d’autre part n’ont aucune valeur juridique et le fait de les signer ne change rien. Les rapports de clientèle se transforment en rapports de contractualisation et ceux-ci mettent mal à l’aise les médecins qui n’ont pas réfléchi à ce type de questions. C’est pourquoi un nombre de plus en plus important d’entre eux suivent des formations en droit médical et en éthique. 
Comme les médecins, mais de façon moindre, les infirmières sont effrayées par les responsabilités qu’on leur attribue. Se développe chez elles une sorte de crainte, pas toujours justifiée, que les patients portent plainte et qu’elles aient à produire des preuves et des documents pour justifier ce qui a été fait ou non. Le formalisme atteint parfois des sommets. Il arrive malheureusement que les mises en cause ne s’avèrent pas toujours fausses ; dans ces circonstances, les infirmières ne peuvent pas attendre une aide du médecin, au contraire ; s’il est lui-même impliqué, il cherchera à se défausser sur les paramédicaux. Plusieurs affaires le prouvent. C’est pourquoi les infirmières demandent à être formées elles aussi dans le domaine du droit et refusent de prendre des responsabilité à la place des médecins, ou même de les couvrir.

Quelles réformes ?

Il est important de comprendre les pressions nouvelles en termes d’évaluation, de répartition de moyens, de coûts médicaux qui pèsent sur les professions de soins. Il s’agit d’un changement profond qui entre culturellement en contradiction avec la formation médicale traditionnelle.
On manque de moyens en personnel médical, mais on souffre surtout d’une très mauvaise répartition de ces moyens. Il existe une contradiction entre l’autonomie médicale et la nécessité d’un équilibre et d’une bonne répartition. Si l’on étudie la répartition de l’offre de soins par rapport aux besoins des années à venir, on peut dire aujourd’hui qu’elle est largement inadaptée tant du point de vue de l’installation médicale que du nombre de médecins spécialistes. Les psychiatres sont en PACA (Provence – Côte d’Azur) et les suicides dans le Nord ; les dermatologues sont sur le littoral méditerranéen et les maladies de peau sont liées à la misère et à la pluie… Par ailleurs, il existe un manque important de structures pour s’occuper des soins de suite et des problèmes sociaux qui sont à la frontière entre le sanitaire et le social, surtout dans certaines régions comme l’Île-de-France.
Nous sommes dans l’incapacité, en France, d’élaborer une politique de santé publique, à la fois en raison du déficit des indicateurs et surtout du manque d’une réelle volonté politique dans ce domaine. La difficulté à réorganiser le système est aggravée par le frein des pouvoirs locaux. Les maires ont des positions différentes, selon qu’ils votent des lois (quand ils sont également députés) et selon qu’ils doivent les appliquer chez eux. De leur côté, les syndicats sont sur la défensive et les personnels unis dans la colère…

De nouveaux outils de calcul des coûts

Depuis quelques années, pour tenter de contrôler les dépenses de santé et mieux répartir les crédits, on cherche à connaître la productivité des hôpitaux en France, à l’instar de ce qui se passe aux États-Unis avec le système Fetter. Il a d’abord fallu trouver un système pour normaliser l’activité et rechercher le « coût d’un patient » ou plutôt d’une « pathologie » donnée. Des outils ont été progressivement mis en place, à travers le Programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI). Les patients ont été classés dans des « groupes homogènes de malades » en fonction de leur pathologie, de leur âge, d’éventuelles pathologies associées et des traitements. Puis, on a examiné le coût du traitement des ces patients. On constate une grande disparité entre les établissements. Elle peut s’expliquer par la différence de prise en charge médicale, mais aussi par les modalités particulières des traitements. Il faut aussi être attentif aux coûts induits qui ne sont pas calculés ou pris en compte : paiement et formation du personnel, prise en compte de personnel diplômé, système de protection du personnel de la fonction publique… Chaque année, sont publiés, tout à fait officiellement, ce qu’on appelle les points ISA (Indice synthétique d’activité) calculés en fait à partir d’une division entre les dépenses de l’hôpital et les activités produites, chaque type d’activité ayant été affecté précédemment d’un certain nombre de point par la méthode du PMSI.
Un énorme progrès a été réalisé au cours de ces dernières années. Il représente un changement culturel auquel personne n’était habitué, mais il n’existe pas encore de lien réel entre ces analyses et l’attribution de moyens, sans doute parce que, pour le moment, elles ne sont pas encore bien validées. Ceci devrait progresser prochainement, mais les conséquences peuvent être rudes. Les outils statistiques, de plus en plus performants, sont loin d’être parfaits et sont encore très contestés. Ils pourraient cependant être utilisés davantage. C’est le constat que vient de faire la Cour des comptes : elle dénonce la lenteur dans la connaissance du fonctionnement et de l’organisation du système hospitalier dont on ne mesure ni la performance ni les coûts. Il n’existe pas, en effet, de comptabilité analytique correcte dans ce domaine. Pour le moment, la liaison entre ces informations sur la productivité des hôpitaux et l’attribution des moyens n’est pas directe et totale. C’est un des points du programme « Hôpital 2007 » de Jean-Pierre Raffarin qui veut aller jusqu’au bout de la démarche.

Quelle évaluation et quelle répartition des moyens ?

Depuis les ordonnances de Juppé du 24 avril 1996, ont été mises en place deux instances très importantes : l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé (ANAES) et les Agences régionales d’hospitalisation (ARH).
L’ANAES a pour mission de mener les hôpitaux à l’accréditation. C’est une sorte de label évaluant la qualité des pratiques qui permettra finalement aux hôpitaux de survivre ou pas. Il s’agit d’un Établissement public administratif (EPA), organisme d’État, qui doit examiner l’ensemble du parc hospitalier public et privé. II a pris pour le moment beaucoup de retard, compte tenu du temps et des moyens dont il dispose et de l’énorme difficulté de mettre en place des indicateurs. Ce type de procédure est complètement nouveau dans les hôpitaux et il a mis sous pression à la fois les directions et les personnels, produisant certains modes de management jugés trop stricts par les personnels concernés. Les rapports de l’ANAES sont publics et bien entendu cette publicité pèse davantage sur les directions d’établissements.
Les Agences régionales d’hospitalisation (ARH) sont des Groupements d’intérêt public (GIP). Elles prennent connaissance des dossiers d’évaluation des pratiques des établissements de santé et ont pour mission de proposer et de mettre en oeuvre des restructurations régionales visant à faire autant ou mieux en matière d’offre de soins, mais de façon plus équilibrée. Par exemple sur l’Île-de-France, le rapport de l’ARH, que l’on trouve sur Internet, est fort instructif sur les actions développées par l’agence et les difficultés qu’elle a dû affronter : augmentation des lits de suite (déficit de 4 850 lits) et diminution des lits de chirurgie, ce qui signifie le remplacement des uns par les autres et cela n’a pas manqué de provoquer des heurts entre les personnels et les politiques. Sur ce dernier point, ce sont surtout les cliniques qui en ont fait les frais : entre 1997 et 2001, sur 238 cliniques de médecine, chirurgie et obstétrique (MCO ) existant, cinquante d’entre elles ont fermé leurs portes et douze ont été reconverties en soins de suite. Pour le moment, la jonction avec les enveloppes financières n’est pas totale. Mais on voit bien que le pouvoir a changé de lieu, puisque ce sont les ARH qui ont pour mission de répartir les enveloppes régionales, même si elles ne décident pas encore de l’ensemble des finances. On voit donc que le système est encore très centralisé pour ce qui concerne les nominations, les règlements et les attributions de certaines enveloppes financières, alors que la volonté affichée est de régionaliser la restructuration de l’offre et la répartition des crédits. Les ARH se plaignent de n’avoir pas suffisamment de pouvoirs pour effectuer leurs missions et d’être même en contradiction avec le pouvoir national à propos de décisions contradictoires ou d’attributions d’enveloppes ciblées.

L’hôpital mis à mal

Les trois pouvoirs : l’administratif, le médical et le soignant

L’hôpital est un milieu très hiérarchisé et très cloisonné. Ceci peut étonner, alors que chacun est censé travailler à la même oeuvre. Mais il se trouve que chacun croit dans l’utilité de sa fonction, sans forcément se rendre compte de l’importance de celle des autres. Traditionnellement, on dit qu’il existe deux pouvoirs à l’hôpital : celui des médecins et celui des administratifs. Mais on oublie de préciser que ces deux catégories de personnels sont les moins nombreuses et qu’il existe d’autres groupes qui revendiquent leur utilité à faire marcher l’ensemble. On pourrait donc dire qu’il n’y a pas deux pouvoirs à l’hôpital, mais trois, l’administratif qui serait le plus gestionnaire, le médical, le plus scientifique, et le soignant, le plus quotidien.
Les directions des établissements publics de santé en France sont administratives et non médicales. Le personnel des hôpitaux publics (soit 600 000 personnes) est géré par le statut de la fonction publique hospitalière et dépend, hiérarchiquement, de la ligne administrative. Les directeurs d’hôpitaux sont formés à l’École de santé publique à Rennes. Ils sont recrutés souvent parmi les diplômés de Sciences politiques ou les facultés de droit. L’école leur dispense une formation strictement administrative qui entre en contradiction avec la culture médicale. Ils deviennent des directeurs gestionnaires qui savent surtout appliquer des règlements, mais moins prendre des risques, à leur côté on trouve de plus en plus fréquemment des jeunes pleins d’allant, sortant d’écoles de commerce ou de grandes écoles comme l’ESSEC, mais qui ignorent totalement le milieu hospitalier dans ce qu’il a de quotidien et peuvent entrer en rupture avec le personnel soignant. Ceux-ci s’identifient à l’image du jeune cadre dynamique, portable à la main, et viennent vous faire de brillants discours dans le domaine de la qualité, agrémentés de PowerPoint, sur des choses que vous faites depuis vingt ans…
Les médecins ont une autorité scientifique, disposent d’un pouvoir technique et fonctionnel, mais ils sont dans une position particulière. Leur nomination échappe au directeur de l’hôpital, puisqu’ils sont nommés par le ministre. Ils ne donnent qu’un avis pour la notation des personnels, et la nomination de ces derniers ainsi que celle des cadres peut se faire sans leur aval. Parmi les médecins, les psychiatres occupent une place spécifique, le traitement de la folie bénéficiant d’une valorisation symbolique importante. Sans les médecins, l’hôpital ne pourrait pas fonctionner, mais ils n’ont pas de place officiellement dans l’équipe de direction d’un établissement.
De son côté, l’« infirmière générale » en a une dans cette équipe. Depuis avril 2002, elle est dénommée « directeur des soins ». Certaines catégories de médecins ont formulé un recours contre cette dénomination : si les infirmières « dirigent » les soins, que font donc les médecins ? Le management au quotidien, dans les services de soins hospitaliers, contrairement à ce que croit le public parfois, n’est pas confié aux médecins, mais aux paramédicaux. Officiellement il existe treize professions paramédicales recensées, les infirmières sont les plus nombreuses, avec les trois spécialités : puéricultrices, anesthésistes, bloc opératoire ; puis viennent les manipulateurs d’électroradiologie, les kinésithérapeutes, les orthoptistes, les diététiciens, les techniciens de laboratoires, les ergothérapeutes, les psychomotriciens [2]… Les médecins gardent leur fonction technique et scientifique, la connaissance et le traitement des pathologies, mais la fonction d’organisation des soins est partagée. Cette contradiction existe depuis longtemps, mais elle devient plus sensible depuis que les paramédicaux revendiquent leur part officielle dans le management.
Les infirmières craignent une évolution de leur profession allant dans le sens de ce qui existe déjà en Angleterre et au Canada : faire des prescriptions légères pour soulager les médecins. Les paramédicaux, – qui d’ailleurs ne veulent plus se faire appeler ainsi -, refusent ce rôle exclusif et demandent une meilleure prise en compte de leur profession.

Pénuries et dysfonctionnements

La pénurie a pris de plein fouet les structures sans que l’on ait les moyens de les réorganiser dans le même temps. Quand un service ne tourne plus qu’avec des intérimaires qui ne connaissent pas les règles de fonctionnement, les pathologie de ce service, voire les personnes avec qui elles travaillent, cela peut devenir catastrophique. Et on se rend compte alors que la compétence des soignants ne se limite pas au dialogue en direct avec le patient. Une foule de choses dysfonctionnent parce qu’on ne connaît plus les circuits, les modes d’organisation, les gens ; on ne sait plus qui prévenir, ni pourquoi celui-là mérite d’être réveillé la nuit et l’autre pas… La réalité de certains hôpitaux, en région parisienne particulièrement, est catastrophique. Par exemple, un cadre de neurochirurgie d’un centre hospitalier dont le service s’est déjà vu amputé de plus de la moitié des lits, ne sait pas qui va venir travailler le soir comme infirmière pour s’occuper de six lits de réanimation, alors qu’en temps normal, pour ce genre de service, il faut au minimum une infirmière et une aide-soignante par lit, ou à la rigueur pour deux lits.
On ne trouve plus d’infirmières en dehors des intérimaires. On peut se demander pourquoi, alors qu’on en cherche partout pour des postes fixes ? En fait, ces infirmières qui exercent en intérim sont les mêmes que celles qui exercent à l’hôpital. Certaines préfèrent travailler quand elles en ont envie, ce que ne leur permet pas un poste fixe. D’autres profitent des 35 heures pour travailler dans plusieurs endroits et, dans la conjoncture actuelle, les contrôles se font légers, puisque tout le monde y trouve son compte, sauf les patients qui ont affaire à des infirmières bien fatiguées. Avec les 35 heures, les services sont de douze heures, soit trois jours par semaine. Il reste du temps pour s’inscrire dans une boîte d’intérim. C’est tentant pour un jeune qui a besoin d’argent …
La pénurie de candidats pour la profession d’infirmière n’est pas nouvelle. Elle a toujours existé. Ce qui change actuellement, c’est son ampleur en nombre et son étendue géographique. Parmi les causes possibles de cette pénurie, il faut prendre en compte plusieurs questions : existe-t-il un « savoir soignant » différent du savoir médical ? Quelle est sa compétence spécifique ? Quelle reconnaissance sociale est-elle en droit d’attendre ? En fait, qu’est-ce que la société attend d’une infirmière ?
Du point de vue des représentations, il existe deux grands décalages : entre l’image sociale traditionnelle de l’infirmière et la façon dont les infirmières se pensent elles-mêmes ; et d’autre part entre leur niveau, leurs connaissances nouvelles et leur activité quotidienne à l’hôpital. De ce point de vue, la France paraît très en retard dans la reconnaissance de ses professionnels de santé. Les infirmières ont des idées sur leur profession, elles se forment à l’université, suivent des congrès internationaux, font des recherches, écrivent… Et pourtant, l’écart grandit entre la volonté des infirmières de renouveler leur métier et leur incapacité à faire passer cette évolution dans le quotidien des établissements de soins.
L’ensemble du personnel est aujourd’hui plus exigeant sur ses conditions de travail. Les 35 heures n’ont rien arrangé. On croyait par exemple que leur application ferait baisser l’absentéisme. Il semble au contraire que non. Au Centre hospitalier Trousseau par exemple – hôpital plutôt très bien doté en personnel, très technique et valorisant pour ceux qui y travaillent -, sur 2 400 personnes, 100 sont absentes chaque jour. Il faut savoir que le statut de la fonction publique hospitalière est extrêmement protecteur et que, malheureusement ou heureusement selon le point de vue qu’on envisage, il existe un traitement social du personnel hospitalier qui coûte cher aux hôpitaux.
On exprime souvent de l’admiration pour les infirmières qui ne peuvent pas prendre leurs jours de congés lorsqu’elles le souhaitent, qui restent après le travail ou qui reviennent la nuit. Mais, dans le même temps, on se plaint que de plus en plus de jeunes ne veuillent plus travailler dans ces conditions. Elles s’absentent ou exigent de prendre leurs repos. Il est certain que la valeur « travail » telle qu’on l’entendait il y a vingt ans n’est plus la même aujourd’hui et, dans cette période de crise, la génération présente n’accepte plus ce que les générations précédentes ont accepté. On revendique ses droits sociaux sans trop se demander parfois si ceux des patients sont respectés.

Des situations limites

L’encombrement des services d’urgence aboutit à des aberrations. Dans le privé, on donne actuellement des « certificats d’aide opératoire » à des gens qui aident les chirurgiens dans les cliniques. Ils sont peut-être compétents au bout de quelques années, mais ils n’ont au départ aucune formation, alors qu’une infirmière de bloc opératoire est formée en trois ans, plus dix-huit mois de spécialisation. Six cents dossiers de « régularisation » sont arrivés à la Direction régionale des affaires sanitaires et sociales (DRASS). Ces aides opératoires n’ont pas été recrutés pour des raisons de pénurie, mais par économie. L’école d’infirmières d’Argenteuil, par exemple, n’a recruté que treize personnes cette année, pour trente cinq places offertes. Un directeur ne tient pas forcément à envoyer une infirmière suivre une formation de bloc opératoire pendant dix-huit mois, payée à plein temps, alors qu’on distribue par ailleurs des certificats sans formation.
D’autre part, beaucoup de médecins étrangers exercent à l’hôpital. Certains sont très bons, d’autres très mauvais. Mais il peut exister des problèmes culturels importants. Lorsqu’aux urgences un médecin ne manie pas très bien la langue française, n’a pas un très bon contact avec les femmes, cela crée des problèmes. Certains de ces médecins ont obtenu une revalorisation et des équivalences, certains ont un niveau remarquable, mais le soin n’est pas seulement une question technique, c’est aussi de la culture.
Il existe également un manque de cadres de santé en poste actuellement et certaines équipes sont un peu perdues sans « chef ». On confie à une infirmière, en sus du reste, la bonne marche générale du service, alors que la gestion du personnel ne s’improvise pas vraiment. Lorsque, dans une maison de retraite, il n’y a plus qu’un médecin algérien pour faire office d’infirmier et des agents de services hospitaliers (personnel sans qualification) pour faire office d’aides-soignantes, il ne faut pas s’étonner que les élèves infirmières constatent des violences commisescontrelespersonnes,commelefaitdemettredupapierhygiénique dans la bouche de ceux qui crient pour les faire taire. Ceci s’est passé récemment en région parisienne. Quand on ferme des lits en grand nombre, comme en ce moment, il ne faut pas s’étonner non plus que des patients en fin de vie passent tout un week-end dans un taxi, pour retourner finalement mourir chez eux après qu’on ait cherché vainement un hôpital pour les accueillir. Ce sont là des situations réelles racontées récemment.

Prendre en compte la limite et la finitude

Lorsqu’on s’inquiète des changements de mentalités à l’hôpital, on passe souvent pour une sorte de « ringard » qui pense que l’âge d’or est derrière nous, que les valeurs ne sont plus ce qu’elles étaient, que « tout fout le camp » et singulièrement le désir de s’occuper de son prochain… Soignants et soignés baignent dans un univers culturel qui n’est plus celui des années 50.
Chacun connaît la nouvelle image du corps donnée par les médias : on gomme les imperfections sur les photos des magazines, on enlève la laideur, la saleté, la vieillesse, on supprime les mauvaises odeurs. Bref, tout ce qui fait chair est effacé pour laisser place à un monde idéal, virtuel, transformable et éternellement jeune. Dans les hôpitaux aussi, on s’est arrangé pour enlever les traces de l’humanité malade et vieillissante, mais il en reste toujours malgré tout. Et si on met moins de personnes difformes au monde, il demeure que la médecine crée paradoxalement davantage de personnes handicapées ou vivant une vie diminuée. Même les pathologies dites aiguës se chronicisent, puisqu’on meure moins de maladies qui étaient autrefois rapidement mortelles. Mais ce temps gagné n’est pas toujours si simple à vivre, et c’est ce qui donne le plus de travail aux infirmières. Sensibles à l’« air du temps », elles se sentent plus valorisées lorsqu’elles soignent des malades en réanimation ou des grands blessés, que lorsqu’il s’agit de personnes âgées ou de malades chroniques qui ne seront jamais plus « comme avant ». 
L’image de la réussite, du défi que l’on vous pose et du résultat qu’on obtient, est aussi vouée à relecture. On peut mourir malgré une superbe réussite médicale. Dans la fonction d’accompagnement, il faut parfois, et même souvent, « accompagner vers le moins », alors que, lorsqu’on a vingt-cinq ans, on se croit « programm » pour soigner toujours vers le plus.
Les personnes soignées sont plus exigeantes et les infirmières sont plutôt satisfaites qu’on dise de plus en plus souvent la vérité sur leur maladie. Elles les soutiennent lorsqu’ils veulent quitter l’hôpital ou changer de lieu de soin. Mais elles subissent aussi de plus en plus les propos outrageants de ces mêmes patients, leur violence, leurs gestes qui font peur. Ces comportements reflètent l’état d’une société qui est forcément présente à l’hôpital, comme dans d’autres administrations et institutions.

ANNEXES

Quelles dépenses de santé ?

En 2001, 149 milliards d’euros ont été dépensés pour la santé, soit 2 439 euros par habitant, c’est-à-dire 9,5% du PIB, contre 9,4% l’année précédente. Ce chiffre compte les soins, les indemnités journalières, la recherche, la formation, la gestion de l’administration sanitaire. 
128 milliards d’euros (841 milliards de francs), soit 86%, sont dépensés pour la consommation de soins et de biens médicaux (hôpital, soins ambulatoires, transports sanitaires, et biens médicaux), soit 2 098 d’euros par habitant (13 800 F), ce qui représente pour l’année 2001, une augmentation de 5,8% en valeur et 5,2% en volume, soit 8,7% du PIB.
L’Objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM), désormais voté par le Parlement, a été fixé en 2003 à 5,3% de hausse, soit 123,5 milliards d’euros. Ceci est plus que précédemment pour les dépenses de maladie. Ce qui conduira sans doute à un déficit de 6,9 milliards d’euros de la branche maladie, alors que les accidents du travail, la vieillesse seront excédentaires. Le secteur hospitalier a dépensé 57 milliards d’euros soit 44,9% de la consommation des soins et biens médicaux. En 2001, ce secteur croît de 4,1 en valeur et 1,9% en volume, contre 3,5% et 1,6% en 2000. Avec une évolution plus forte dans le secteur public : 4,5% en valeur contre 2,1% dans le secteur privé.
Les hôpitaux tant publics que privés sont financés par l’argent de la Sécurité sociale. Pour le moment, il n’y a pas encore de lien direct entre l’activité réelle d’un établissement et les subventions qu’il reçoit. En effet, la loi du 19 janvier 1983 a institué ce qu’on appelle le budget global, c’est-à-dire une tarification globale annuelle sous forme de financement par douzième donné par les organismes de sécurité sociale. Le montant de cette enveloppe est calculé par différence entre les recettes estimées et la totalité des charges d’exploitation.
Le budget est donc prévu en fonction de celui de l’année précédente avec un coefficient de majoration régionale, une estimation de crédits correspondant à des transferts d’activité ou de moyens. Il en est de même pour les mesures salariales, à quoi s’ajoutent une estimation de mesures nouvelles, ainsi que quelques corrections liées au Programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI). Ce mode de calcul favorise les établissements qui stagnent puisqu’il ne prend pas en compte les développements d’activités nouvelles sauf quand elles en remplacent d’autres.

La pénurie d’infirmières

D’après une étude faite par l’ARH, il manque 5 131 infirmières en région parisienne (ceci correspond à 2697 postes vacants, plus l’impact de la mise en place de la réduction du temps de travail soit 2 434 postes), sur 49 583 postes budgétés. Il manquerait en France 12 000 infirmières sur 210 000 infirmières en exercice dans les hôpitaux. C’est donc environ 5% de postes vacants en France et 10,35% en Île-de-France. L’enquête de l’ARHIF montre que sur les cinq prochaines années, malgré l’augmentation des quotas, le nombre des entrées prévisibles n’équilibrera pas complètement le nombre des départs attendus dans la même période et du coup ne rattrapera pas le retard. Cette étude ne tient pas compte du secteur médico-social.
La prévision qui semble établie aujourd’hui indique que 6 000 postes d’infirmières seront vacants en Île-de-France pour plusieurs années. L’Île-de-France, traditionnellement, a toujours formé des infirmières venues d’ailleurs et en particulier, des régions de Bretagne et de Pays de Loire qui ont envoyé leurs jeunes filles à Paris. Sauf qu’elles y restaient quelques années et parfois s’y fixaient. Actuellement, les jeunes repartent dans leur province (12% des élèves avant de prendre leur poste).
Comme pour la crise des hôpitaux et en cumul avec elle, les causes sont multiples. Il s’agit d’abord de questions matérielles. En Île-de-France, elles sont importantes. Si les études sont à peu près gratuites, il faut se loger quand on vient de province ou d’une banlieue éloignée ; les logements des hôpitaux sont peu nombreux et se font presque uniquement à l’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris. Il faut se nourrir et les situations sociales des élèves infirmières sont de plus en plus difficiles. Le salaire de début des infirmières tourne autour de 1 220 à 1 370 euros. Ce qui est peu lorsqu’on le compare à celui d’autres professions.
Le manque d’infirmières est général dans les pays dits « développés », notamment dans presque tous les pays européens, sauf l’Espagne. Dans les pays anglo-saxons, la crise est encore plus profonde et dure depuis longtemps. En France, elle se double d’une mauvaise gestion prévisionnelle des pouvoirs publics qui ont cru dans les années 97-98 que nous aurions trop d’infirmières. On a donc diminué les quotas d’entrée et même fermé quelques écoles. Heureusment, certaines n’ont pas eu le temps de fermer leurs portes, puisqu’il faut trois ans pour écouler le flot des étudiants.
Très vite, on s’est aperçu que les départs à la retraite (qui se font à 55 ans pour les infirmières du public) n’allaient absorber que les arrivées de jeunes infirmières. On a donc, à partir de l’année 2000, ré-augmenté les quotas d’étudiants infirmiers dans les IFSI, à raison de plus de 8 000 par an, pour 26 000 candidats. Les premières promotions plus nombreuses sortiront en décembre 2003, la durée des études étant de trois ans et trois mois. Enfin, personne n’a envisagé avec sérieux l’application des 35 heures à l’hôpital qui s’est faite dans la précipitation, sans aucune préparation ou presque. Jusqu’au 31 décembre 2002, alors que l’application était prévue pour le ter janvier, on s’est dit qu’un texte sortirait pour repousser l’échéance…

Comment sortir de la crise de recrutement des infirmières ?

La crise des professions de santé dans le monde dit « développé » est globale et l’Espagne reste le seul îlot où l’on peut encore s’« approvisionner » en infirmières. Une délégation du ministère du Québec est venue en novembre dernier recruter des infirmières au salon infirmier à Paris ; quatre cents se sont inscrites ; l’an dernier, sept cents sont parties s’y installer. Le Québec semble bien représenter une avancée car il a été le premier à créer des facultés des sciences infirmières. En France, la formation est difficile et le métier n’est plus socialement valorisant. Les formations professionnelles sont gérées par le ministère de la Santé et non par celui de l’Éducation nationale. Les infirmières n’auront d’avancée de carrière que si elles changent de fonction et s’investissent dans la gestion ou la formation. Il faudrait développer des facultés en soins, différentes des facultés de médecine, ouvertes aux professions médicales et paramédicales, dans lesquelles elles pourraient mener un travail universitaire sur la notion de soin et sur le rapport à l’autre. Ce projet, déjà évoqué il y a une dizaine d’années, a été abandonné, car il s’est heurté à l’opposition des facultés médicales.
Pratiquement tous les pays européens ont déjà évolué dans ce sens en créant une véritable discipline infirmière, de façon plus ou moins affirmée selon les pays. Certains ont opté pour une formation universitaire, comme l’Espagne, la Grèce ou l’Italie. En Grèce par exemple, on trouve un grand nombre d’infirmières doctorantes en sciences infirmières. En Suisse, les écoles d’infirmières viennent d’être transformées en Hautes Écoles de Santé sociale, avec des partenariats possibles avec les universités, afin de sortir de la tutelle des hôpitaux et permettre aux infirmières de poursuivre des carrières au-delà du diplôme d’État.
Au Québec, il existe depuis de très nombreuses années des facultés de sciences infirmières et les recherches en soins infirmiers sont nombreuses. Des infirmières françaises vont même y passer des DEA et des thèses. Ces évolutions démontrent parfaitement la complémentarité de la science médicale et de la science infirmière, lorsqu’il s’agit de soigner des personnes.
En France, où les tentatives pour créer des diplômes universitaires en soins infirmiers se sont heurtées aux médecins en général, la situation est peut être en train de changer grâce à l’ouverture globale des universités aux professionnels. Chacun peut y trouver son intérêt. Si l’on baisse au contraire le niveau d’entrée dans les écoles d’infirmières, sous prétexte qu’il faut les remplir, on va à l’encontre de la formation d’une profession qui cherche à s’autonomiser dans son fonctionnement et à œuvrer pour la création d’une discipline forte.

Notes

[1] Mardi de Politique Autrement qui s’est tenu le 7 janvier 2003.

[2] On peut remarquer ici que des professionnels comme les assistantes sociales ou les éducateurs, en général sont considérés sociologiquement comme des paramédicaux, mais non officiellement répertoriés comme tels.