Lettre n°18 – janvier 2000

Il y a des jours comme ça où nombre de discours et de débats vous apparaissent tout d’un coup décalés… « Y-a-t-il un avenir pour la gauche ? », tel était le titre significatif d’un colloque organisé à l’université de Nanterre en juin 1998. Les interventions se sont succédées de façon ininterrompue pendant deux jours sur tous les thèmes en débat aujourd’hui : les politiques économiques, le salariat, la nation, la mondialisation, la démocratie, le progrès… Le contenu et les intervenants étaient de bonne tenue, les auditeurs fort attentifs.

« Un si petit monde »

Une seule fausse note : dans la grande salle des colloques les interventions se succédaient face à des rangées de chaises qui semblaient attendre un public absent. Les orateurs se mêlaient à quelques individus répartis autour d’une immense table rectangulaire et se succédaient à un rythme soutenu comme si de rien n’était. Pendant deux jours, les interventions ont succédé aux interventions, sous la houlette d’un animateur énergique : celui-ci ne cessait d’appeler les intervenants à réduire au maximum leur temps de parole afin de pouvoir tenir le programme prévu. Et les quelques minutes accordées au débat donnaient lieu à des échanges argumentés où chacun se questionnait et s’interpellait par dessus les chaises vides.
De temps en temps, à l’autre bout de cette grande salle, une tête apparaissait dans l’entrebâillement d’une porte : quelqu’un venait sans doute « jeter un œil » ou peut-être s’était-il trompé de réunion. Quelques inconnus entraient, s’asseyaient autour de la grande table, écoutaient quelques minutes puis repartaient. Ils pouvaient revenir quelque temps plus tard, l’après-midi ou le lendemain, sans qu’on sache exactement les raisons de cet étrange ballet.
« La gauche a-t-elle un avenir ? », le titre légèrement provocateur du colloque traduisait mal à vrai dire l’état d’esprit des intervenants. Ceux-ci étaient en effet persuadés qu’elle en avait un. Mais tous, chacun à leur manière, y mettaient une condition : qu’elle prenne en compte ce qu’ils ne cessaient de lui dire, la plupart depuis des années.
Et au moment des pauses, les discussions de ces quinquagénaires continuaient avec passion dans les couloirs d’une faculté aux murs tapissés d’affiches et de slogans plus ou moins vengeurs, tandis que des étudiants pressés ou assis par terre mangeaient des sandwiches. Deux univers se croisaient sans se voir, coexistaient dans l’indifférence au sein de cette faculté, ancien haut lieu de la contestation soixante-huitarde. Oui, vraiment, cette question ne manquait pas de pertinence : « La gauche a-t-elle un avenir ? » Les questions politiques posées par ces intellectuels de gauche semblaient ne plus avoir de prise sur une jeunesse qui semblait provenir d’un autre monde.

La quête indéfinie de la bonne réponse politique

Combien de nouveaux « espaces » de débat, de confrontation, de reconstruction, de refondation… ont été créés à gauche, au centre-gauche, au sein de la « deuxième gauche », d’une « gauche de gauche », ou à « gauche de la gauche »…, tous censés représenter la « vraie gauche », l’« alternative de gauche » enfin trouvée que le « peuple de gauche » tant de fois trompé attend depuis si longtemps. En l’affaire tout paraît affaire de débouché politique dont on ne cesse de nous annoncer la venue imminente. Certains continuent ainsi de croire que tout est affaire de réponse politique, de bonne réponse politique aux nouveaux défis qui sont posés à la société. Mais est-on sûr du diagnostic ?
Va-t-on pouvoir enfin l’admettre : le problème n’est pas seulement d’ordre politique au sens étroit du terme ; des réformes politiques nécessaires sur telle ou telle question ne le feront pas disparaître. C’est le terrain sur lequel reposait toute une ancienne façon de faire de la politique qui a glissé. C’est le soubassement culturel du politique, toute une conception de l’homme et du vivre-ensemble qui se trouve en question.
Nombre de militants continuent de s’activer comme si de rien n’était, passant – à l’image des jeunes cadres dynamiques d’aujourd’hui – de l’activisme forcené à l’abattement devant le constat de la disproportion existante entre les efforts dépensés et le résultat obtenu. Il faut cesser de faire semblant.

M. de Landemer

Sommaire de la lettre n°18 – novembre 2000