« Il n’y avait pas de distractions intérieures, je veux dire : nous n’étions pas distraits de notre intérieur. Ni détournés, ni recomposés à l’extérieur de nous-mêmes par l’avalanche des sollicitations, ni blessés comme ces disques rayés à coups d’aiguilles et qui, comme obsédés par la blessure, répètent indéfiniment la même chose. […]
Ce n’est pas la recherche du plaisir qui commandait l’ouverture d’un livre. Je n’attendais pas qu’il me contente. Je n’attendais pas qu’il me plaise. J’attendais qu’il change ma vie.
La vérité gît dans les livres, éparpillée entre les livres, les auteurs, chacun la compose, un peu ou beaucoup, mais c’est parfois rien, un mot, une phrase, une page, une note en bas de page, la dernière phrase d’une note en bas de page, il faut chercher, ne rien sauter, c’est parfois rien qui devient cette partie du tout que nous cherchons à construire, à organiser, à lever en nous, la pépite, le joint qui colmate, l’articulation qui permet le mouvement d’un ensemble, l’isthme qui fait se mêler deux mers, la cheville qui libère, et c’est pourquoi il faut être patient, et surmonter son déplaisir, sa déception, car la vérité peut être là, juste après, au coin de la rue, une fois tournée la page, et c’est pourquoi la lecture est d’abord une espérance. »
Paul YONNET, Le testament de Céline, éditions de Fallois, 2009, p. 11 et 13