« Une nation pardonne toujours les préjudices matériels qu’on lui fait subir, mais non une atteinte portée à son honneur, surtout lorsqu’on emploie la manière d’un prédicateur qui veut avoir raison à tout prix. Tout nouveau document porté à la connaissance publique des dizaines d’années après, ne peut avoir d’autre résultat que de réveiller des clameurs indignes, la colère et la haine, alors qu’il vaudrait mieux enterrer la guerre, moralement au moins, lorsqu’elle est terminée. Mais une telle attitude n’est possible que si l’on a le sens des réalités, le sens chevaleresque et avant tout le sens de la dignité. Elle se défend donc d’afficher une « éthique » qui, en vérité, témoigne toujours d’une absence de dignité des deux côtés. Ce dernier genre d’éthique ne se préoccupe jamais que de la culpabilité dans le passé, question stérile du point de vue politique parce que insoluble, au lieu de s’intéresser à l’affaire propre de l’homme politique, à savoir l’avenir et la responsabilité devant l’avenir. S’il existe des crimes politiques, cette façon de procéder en est un. Par ailleurs, une telle attitude a l’inconvénient supplémentaire de nous cacher à quel point tout le problème est inévitablement faussé par des intérêts matériels : intérêts du vainqueur à tirer le plus grand profit possible de sa victoire – qu’il s’agisse d’intérêts matériels ou moraux -, espoirs du vaincu de marchander l’aveu de sa culpabilité contre certains avantages. S’il existe au monde quelque chose d’ « abject » c’est bien cela. Voilà ce qu’il en résulte lorsque l’on veut utiliser l’éthique pour avoir toujours raison. » Max WEBER, Le savant et le politique, Plon, 10/18, Paris 1995.