« La distance temporelle qui nous sépare du passé n’est pas un intervalle mort, mais une transmission génératrice de sens. Avant d’être un dépôt inerte, la tradition est une opération qui ne se comprend que dialectiquement dans l’échange entre le passé interprété et le présent interprétant. […] La notion de tradition prise au sens des traditions, signifie que nous ne sommes jamais en position absolue d’innovateurs, mais toujours en situation relative d’héritiers. Cette condition tient essentiellement à la structure langagière de la communication en général et de la transmission des contenus passés en particulier. Or, le langage est la grande institution — l’institution des institutions — qui nous a chacun dès toujours précédés. Et par langage il faut entendre ici, non seulement le système de la langue en chaque langue naturelle, mais les choses déjà dites, entendues et reçues. Par tradition, nous entendons en conséquence les choses déjà dites, en tant qu’elles nous sont transmises le long des chaînes d’interprétation et de réinterprétation. » Paul RICŒUR, Temps et Récit, Tome III, Le temps raconté,
Seuil, Paris, 1985, p. 320-321.