« Mes pensées, le sens que je donne à ma vie, sont toujours pris dans un foisonnement de significations qui m’ont déjà installé dans une certaine position à l’égard des autres et des événements, au moment où j’essaie d’y voir clair. Et certes, ces infrastructures ne sont pas un destin, ma vie les transformera. Mais si j’ai chance de les dépasser et de devenir autre chose que ce paquet de hasards, ce n’est pas en décidant de donner à ma vie ce sens-ci ou ce sens-là, c’est en tâchant de vivre naïvement ce qui s’offre à moi, sans ruser avec la logique de l’entreprise, sans l’enfermer par avance dans les limites d’une signification préméditée. C’est à peine si le mot de choix garde ici un sens, non que nos actes soient écrits dans notre situation de départ, mais parce que la liberté ne descend pas d’une puissance de choisir à des spécifications qui ne seraient pour elle qu’un exercice, parce qu’elle n’est pas un pur foyer de projets qui trouve le temps vers l’avenir, qu’elle est diffuse dans tout mon présent, déchiffré et compris autant qu’il peut l’être, quand il se met à devenir ce que je serai. Le sens de mon avenir ne surgit pas par décret, il est la vérité de mon expérience, et je ne puis la communiquer autrement qu’en racontant l’histoire qui m’a fait devenir cette vérité. […]
Le choix, comme le jugement est beaucoup moins un principe qu’une conséquence, un bilan, une formulation qui intervient à certains moments du monologue intérieur et de l’action, mais dont le sens s’est formé jour après jour. » Maurice MERLEAU-PONTY, Les aventures de la dialectique, Gallimard, Paris, 1955, p. 265-266.