« Peut-être l’apparence nous trompe-t-elle. Cette société n’a probablement pas la consistance gélatineuse qu’on lui prête. La puissance des tabous qui dominent la vie intellectuelle, politique, morale, de nos contemporains reste cachée à leurs yeux, parce que ceux qui les propagent et finalement les imposent se présentent comme les adversaires de toute censure. Comment un prédicateur de toutes les licences, un apôtre du plaisir sans contrainte, un défenseur des différences et des anomalies pourrait-il attenter à la liberté de conscience ? C’est pourtant ce qui se passe : au nom de l’antiracisme, de l’immoralisme, et d’autres causes proclamées sacro-saintes, des coteries installées à des postes clés, et souvent subventionnées par le pouvoir, diffament, ridiculisent, excluent impunément. Le champ reste donc ouvert à la morale : dénoncer ces tabous, fracasser ces idoles, quand on le peut, et lorsque l’accès à la parole, à ce qu’ils appellent l’« espace public », dont ils définissent eux-mêmes les bornes, est refusé aux dissidents, il reste à créer de plus petits espaces où se maintiennent les fidélités et où le dialogue s’exerce à l’abri des intimidations et des commandements de la mode. » Jean-Marie DOMENACH, Une morale sans moralisme, Flammarion, 1992, p. 106.