« Le racisme participe de quelque chose de beaucoup plus universel que l’on ne veut bien l’admettre d’habitude. Le racisme est un rejeton, ou un avatar, particulièrement aigu et exacerbé, je serais même tenté de dire : une spécification monstrueuse, d’un trait empiriquement presqu’universel des sociétés humaines. Il s’agit de l’apparente incapacité de se constituer comme soi sans exclure l’autre — et de l’apparente incapacité d’exclure l’autre sans le dévaloriser et, finalement, le haïr. […] Nous prétendons à la fois que nous sommes une culture parmi d’autres, et que cette culture est unique en tant qu’elle reconnaît l’altérité des autres (ce qui ne s’était jamais fait auparavant, et que les autres cultures ne lui rendent pas), et en tant qu’elle a posé des significations imaginaires sociales, et des règles qui en découlent, qui ont valeur universelle : pour prendre l’exemple le plus facile, les droits de l’homme. […] Le combat contre le racisme est toujours essentiel. Il ne doit pas servir de prétexte pour démissionner devant la défense de valeurs qui ont été créées “chez nous”, que nous pensons être valable pour tous, qui n’ont rien à voir avec la race et la couleur de la peau et auxquelles nous voulons, oui, raisonnablement convertir toute l’humanité. »
Cornelius CASTORIADIS, Le monde morcelé, Seuil, 1990, p. 29, p. 37, p.39.