« Il s’agit pour nous tous de concilier la justice avec la liberté. Que la vie soit libre pour chacun et juste pour tous, c’est le but que nous avons à poursuivre. Entre des pays qui s’y sont efforcés, qui ont inégalement réussi, faisant passer la liberté avant la justice ou bien celle-ci avant celle-là, la France a un rôle à jouer dans la recherche d’un équilibre supérieur.
Il ne faut pas se le cacher, cette conciliation est difficile. Si l’on en croit du moins l’Histoire, elle n’a pas encore été possible, comme s’il y avait entre ces deux notions un principe de contrariété. Comment cela ne serait-il pas ? La liberté pour chacun, c’est aussi la liberté du banquier ou de l’ambitieux : voilà l’injustice restaurée. La justice pour tous, c’est la soumission de la personnalité au bien collectif. Comment parler alors de liberté absolue ? […]
Cet effort demande de la clairvoyance et cette prompte vigilance qui nous avertira de penser à l’individu chaque fois que nous aurons réglé la chose sociale et de revenir au bien de tous chaque fois que l’individu aura sollicité notre attention. »

Albert CAMUS, Actuelles, Écrits politiques, Gallimard, Folio Essais, 1997, p.39-41.