« Faire de la présentation d’une certaine image de la base de toute une politique – chercher non pas la conquête du monde, mais à l’emporter dans la bataille dont l’enjeu est « l’esprit des gens » – voilà bien quelque chose de nouveau dans cet immense amas de folies humaines enregistré par l’histoire. […]
Il est peut-être naturel que des dirigeants élus – qui doivent tant, ou sont persuadés qu’ils doivent tant, aux animateurs de la campagne électorale – croient en la toute puissance de la manipulations sur l’esprit des hommes et pensent qu’elle peut permettre de dominer réellement le monde. […]
Ce qui me surprend, c’est l’ardeur avec laquelle des douzaines « d’intellectuels » apportèrent leur soutien enthousiaste à cette entreprise axée sur l’imaginaire, peut-être parce qu’ils étaient fascinés par l’ampleur des exercices intellectuels qu’elle paraissait exiger. […]
Ni la réalité, ni le sens commun ne pouvaient atteindre l’esprit des spécialistes de la solution des probèmes qui continuaient imperturbablement à préparer leurs scénarios « appropriés à chacun des publics » dont il fallait modifier l’état d’esprit. […]
Nous savons aujourd’hui à quel point on a pu se tromper sur tous les publics. »
Hannah ARENDT, Du mensonge à la violence, edit. Pocket, 1994, p. 22-23