Pourquoi ce séminaire ? 

La morale est aujourd’hui présente à la fois dans de nombreux discours politiques et dans divers engagements qui entendent répondre à des situations de misère et de détresse. 
A droite comme à gauche, la référence aux « valeurs » est omniprésente. Chez les hommes politiques, cette référence s’intègre souvent dans un discours général et incantatoire, sorte de nouvelle « langue de caoutchouc » médiatico-politique, qui sert à masquer l’inconsistance du propos. Dans la mouvance associative et médiatique, l’indignation morale liée à une référence emblématique aux droits de l’homme est fortement présente. Il existe un courant moralisant et moderniste, qui allie un « look cool », tolérant, ouvert, et une intolérance extrême basée sur la certitude aveugle d’être le dépositaire du Bien, le représentants d’évolutions sociales et culturelles qui imposeraient d’elles-mêmes leurs propres normes. Au plan international enfin, la confusion de l’humanitaire et du militaire est souvent présente, et c’est au nom du Bien que le gouvernement Bush a été amené à présenter les interventions américaines en Afghanistan et en Irak. Autant de réalités différentes qui conduisent à s’interroger sur les usages de la morale en politique et sur la façon dont la morale a amené un certain type d’engagement. 
Pour tenter d’éclairer ces questions, il nous semble nécessaire : 
 d’opérer d’abord une distinction nécessaire entre morale et politique, 
 d’étudier les discours et les réflexions d’hommes politiques et de courants de pensée qui se sont engagés en faisant plus ou moins explicitement référence à la morale, 
 d’opérer un recul réflexif et historique sur des situations historiques où morale et politique se sont trouvés mêlées.
Ce séminaire ne prétend pas recenser l’ensemble des auteurs et traiter de l’ensemble des questions relatives au problème de la politique et de la morale. Il s’agit plus modestement d’apporter, dans un esprit d’éducation populaire, les bases intellectuelles et historiques indispensables pour aborder cette question, d’entamer une première réflexion entre nous autour des thèmes suivants :

  • Comment distinguer morale et politique ? Quelles sont leurs finalités propres ? 
  • Comment, historiquement, différents courants politiques de droite et de gauche, se sont-ils référés à la morale ? Qu’en est-il aujourd’hui ?
  • Le tragique et les dilemmes de l’action examinées à partir d’engagements et de situations extrêmes.

Modalités et principes du séminaire 

Ce séminaire diffère de ceux des autres années. Il ne comporte pas de conférences publiques faites par des intellectuels ou des personnalités (des conférences publiques auront lieu, mais elles sont distinctes du séminaire). Il sera avant tout basé sur une étude et une réflexion menées en commun à partir de lectures d’extraits de textes, de petits exposés de cadrage et de notes de lectures de livres (10-15 mn maximum) préparés par des participants. À chaque séance, les extraits de textes et les références des ouvrages étudiés à la suivante seront fournis. On fera également appel à des témoignages et à des documents audiovisuels. Il s’agit de favoriser un climat d’étude et d’échange où chacun puisse se sentir libre de réfléchir et d’intervenir à partir des textes étudiés collectivement et des exposés. 
Face à des questions qui prêtent encore à passion et polémique, nous entendons fournir les éléments nécessaires d’information, opérer un recul réflexif et critique, favoriser la confrontation argumentée dans le respect des positions des uns et des autres, pour que chacun puisse se forger son propre point de vue.

Programme-séances

Samedi 18 novembre : Comment distinguer politique et morale ? Quelle finalité spécifique de la politique par rapport aux autres sphères d’activité ? Quels problèmes moraux spécifiques se posent en politique ? 
Cette première séance vise à mieux connaître les textes fondamentaux qui éclairent ces questions. On procédera à la lecture et à un débat à partir d’extraits de textes de Julien Freund : « Qu’est ce que la politique ? », et de Max Weber concernant la distinction nécessaire entre « éthique de conviction » et « éthique de responsabilité ». Quelle est la portée de ces textes dans la situation présente ?

Samedi 2 décembre : Socialisme et bolchevisme : quelles conceptions de la morale et de la politique ? 
 Comment les socialistes ont-ils pensé le lien entre la morale et le socialisme ? 
Notes de lectures de textes de Jean Jaurès, de Léon Blum, d’André Philip. 
 Amoralisme et terreur dans le bolchevisme. Exposés et notes de lecture de Leur morale et la nôtre de Léon Trotski et de textes d’Alain Besançon extraits de Les origines intellectuelles du léninisme et de Le malheur du siècle.

Samedi 16 décembre : Ordre moral, éthique et politique : les années 30 et juin 1940
De Gaulle et Pétain face à la défaite de juin 1940. Étude des discours de de Gaulle et de Pétain. Lecture de L’étrange défaite de Marc Bloch.
Le personnalisme chrétien : Quel rapport à la morale et à la politique ? Notes de lecture du cahier de Politique Autrement Le mouvement Esprit : histoire d’un engagement.

Samedi 20 janvier : Face à la guerre d’Algérie, quel tragique de l’action dans les engagements extrêmes ?
Cette séance sera consacrée à des témoignages audio-visuels, à des écrits rendant compte de situations vécues, de militants ou de gens ordinaires confrontés aux dilemmes moraux de leur engagement. Comment le problème s’est-il posé chez des militants qui ont soutenu le FLN et des ex-partisans de l’Algérie française ?

Samedi 24 mars : Du mouvement de contestation des années 60 au néo-conservatisme 

  • Quelle critique de la morale et de la politique dans le mouvement étudiant des années soixante ? Exposé et notes de lecture.
  • La droite américaine et la morale : quelles références intellectuelles ?

Exposés et lectures d’extraits de textes d’Allan Bloom, L’âme désarmée, et de Irving Kristol, Réflexions d’un néo-conservateur.

Bibliographie

  • MACHIAVEL, Le Prince, Gallimard (Folio classiques), Paris, 1980.
  • Julien FREUND, Qu’est-ce que la politique ?, Seuil, Paris, 1968.
  • Max WEBER, Le savant et le politique, Plon, 10/18, Paris 1995.
  • Julien FREUND, L’aventure du politique, entretiens avec Charles Blanchet, Critérion, Paris, 1991.
  • Charles BLANCHET, De la nature du politique : la philosophie politique de Julien Freund, Cahier de Politique Autrement, février 1994.
  • Philippe RAYNAUD, Max Weber et les dilemmes de la raison moderne, « Troisième section, chap. II : Rationaliser la domination ? »
  • Léon TROTSKI, Leur morale et la nôtre, Les éditions de la passion, Paris, 2003.
  • Léon TROTSKI, « Terrorisme et communisme, Union générale d’édition,10/18 , Paris, 1963.
  • Alain BESANÇON, Les origines intellectuelles du léninisme, Calmann-Lévy, Paris, 1977.
  • Alain BESANÇON, Le malheur du siècle, « Chap. II La destruction morale – La falsification communiste du bien », Fayard, Paris, 1977.
  • Jean-Pierre LE GOFF, « Permanence et métamorphoses du trotskisme », Études, janvier 2004.
  • Jean JAURES, « Le socialisme est une morale », in Rallumer tous les soleils, édit. Omnibus, Paris, 2006.
  • Jean JAURES, « Socialisme et liberté », Œuvres de Jean Jaurès, t. 7, Fayard, Paris 2001.
  • Léon BLUM, À L’échelle humaine, Gallimard, Paris, 1945, réédit. 1971.
  • André PHILIP, Les socialistes, édit. Seuil, Paris, 1967.
  • Charles de GAULLE, Mémoires de guerre, t.1, L’appel 1940-1942, Plon, Paris, 1954.
  • Marc BLOCH, L’étrange défaite, Gallimard, Folio Histoire, Paris, 1990.
  • Paul THIBAUD, « De l’héritage à l’exemple. De Gaulle et les Français », Esprit, juin 2001.
  • « La France libre, un héritage intransmissible ? », entretien avec Daniel CORDIER et Jean-Louis CREMIEUX -BRILHAC, Esprit, juin 2001.
  • Philippe PETAIN, Discours, http://www.guerre-mondiale.org/ (documents).
  • Le dossier de Vichy, édit. Julliard, collect. Archives, Paris 1967.
  • Jean CONILH et Jean-Marie DOMENACH, Le mouvement Esprit : histoire d’un engagement, Cahier de Politique Autrement, Juillet 1989.
  • Bernard COMTE, « Mounier sous Vichy : le risque de la présence en “clandestinité politique” », Emmanuel Mounier. Actes du colloque tenu à l’UNESCO, édit. Parole et silence, Paris, 2003.
  • Jean-Marie DOMENACH, et Zeev STERNHELL (suite et fin), controverse, Esprit, mai 1984.
  • Francis JEANSON, Notre guerre, Berg International éditeurs, Paris, 2001
  • Jean-Paul SARTRE, « Préface », Les damnés de la terre, Frantz FANON, Maspero, Paris, 1961.
  • Mohammed HARBI, Gilbert MEYNIER, Le FNL. Documents et histoire 1954-1962, Fayard, Paris, 2004.
  • Albert CAMUS, Chroniques Algériennes, 1939-1958, Gallimard, Folio Essais, Paris, 2002.
  • Hélie DE SAINT-MARC, Mémoires. Les champs de braises, édit. Perrin, Paris, 1995.
  • OAS parle, édit. Julliard, collect. Archives, Paris, 1964.
  • Arthur MARWICK, The Sixties : Cultural Revolution in Britain, France, Italy and the United States, c. 1958 – c. 1974, New-York, 1998, Press University Oxford, 1999.
  • Michael SEIDMAN, The imaginary revolution, Berghahn Books, New York, 2004.
  • Mai 68. Les mouvements étudiants en France et dans le monde, Bibliothèque de documentation internationale et contemporaine, Nanterre, 1988.
  • Jean-Pierre LE GOFF, Mai 68 l’héritage impossible, La Découverte, 1998 et 2003.
  • Allan BLOOM, L’âme désarmée, Julliard, Paris, 1987.
  • Irving KRISTOL, Réflexions d’un néoconservateur, PUF, Paris, 1987.

Les extraits de textes et les deux Cahiers de Politique Autrement cités seront fournis lors du séminaire