Février 2013 – ISSN 2261-2661

Anne-Marie Le Pourhiet(*)

Le mariage homosexuel n’introduit pas à proprement parler une nouvelle conception du droit. C’est une des revendications parmi d’autres qui atterrissent en permanence dans la corbeille des juristes. Le mariage homosexuel confirme et prolonge la mutation postmoderne du droit contemporain qui traduit une inversion de la hiérarchie des valeurs où ce n’est plus l’intérêt général, collectif et à venir qui prime sur les intérêts individuels ou catégoriels, mais l’inverse. On ne part plus du droit de tous transcendant les intérêts particuliers, mais des « droits » de chaque individu ou groupe qui s’imposeraient à la société et au législateur. On assiste à une privatisation et une re-féodalisation de l’espace public où chaque groupe exige sa part et entend se servir dans une cacophonie généralisée.

Communautarisme et victimisation

Dans ces conditions, la loi n’est plus l’expression de la volonté générale au service du bien commun mais une sorte de pâte à modeler au service de l’intérêt immédiat de minorités qui exigent la satisfaction de ce qu’elles appellent leurs « droits », de plus en plus illimités. Le droit est ainsi devenu un véritable marché et l’État-législateur est considéré comme une sorte de self-service normatif où chacun vient se servir à la carte.
J’évoquais récemment avec mes étudiants le cas du naufrage du Costa Concordia et ils me citaient des associations de rescapés qui vont en justice. De quoi se plaignent-ils ? Un avocat est allé les démarcher en leur disant qu’ils avaient sans doute des séquelles psychologiques à faire valoir. Une dame a témoigné à la télévision de sa séquelle psychologique après avoir vu des cadavres partir avec les pompiers dans des sacs orange et cette dame serait devenue allergique à l’orange… Jean Rivero, un juriste spécialiste des libertés publiques, disait qu’il y a une tendance contemporaine à ériger en loi tout rêve, toute aspiration, tout fantasme. Tout doit être « judiciarisé ». Aux États-Unis et au Canada des juristes travaillent sur la façon de léguer des biens à des animaux domestiques…
Plus aucune limite, même rationnelle, logique, intellectuelle, anthropologique, naturelle, culturelle, n’est supportée par ces minorités auxquelles on ne peut opposer aucune frustration dans la reconnaissance et l’octroi de leurs « droits ». Dans la Déclaration des droits de l’homme de 1789, il était dit que la liberté consiste à faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. La loi fixait des bornes. Aujourd’hui, on n’accepte plus aucune borne ; c’est le retour des privilèges (étymologiquement = lois privées). Il n’est qu’à entendre les réactions hostiles à la « Manif pour tous » du 13 janvier 2013. Ces réactions affirment que le projet de loi « n’enlève pourtant rien aux hétérosexuels » et qu’il suffit de prévoir finalement des livrets de famille distincts : un pour les hétérosexuels (où les termes « père » et « mère » seront maintenus) et un autre pour les homosexuels (où ces termes disparaîtront), pour que toutes les communautés soient contentes. Comme s’il ne s’agissait que d’intérêts catégoriels alors que c’est la société tout entière qui est évidemment concernée et que nul ne peut être indifférent au sort des autres enfants que les siens. Nous sommes dans une société de plaignants. Il faut que le juriste et le législateur répondent à ces demandes. Ce sont des rapports très psychologiques à la loi qui doit reconnaître ma (ou notre) souffrance et mon (ou notre) statut de victime.
L’atmosphère contemporaine favorise une « déferlante compassionnelle » que François Furet avait analysée dans un article du Débat [1] . Diffusée par les médias, cette déferlante exige de ne critiquer personne, d’aimer son prochain, de donner des droits… Il faut obligatoirement être gentil, être « Bambi », comme l’avait dit Alain Finkielkraut dans une émission de Répliques. Toutes ces minorités ont exactement le même logiciel argumentatif pour parvenir à leurs fins. Tout d’abord, le groupe se fabrique un statut de victime pour pouvoir paralyser toute opposition. Toutes les communautés se disent ainsi « discriminées », en transformant toute différenciation en discrimination arbitraire et invoque, si possible, un martyr passé. On assiste d’ailleurs à une surenchère des violences invoquées, le mot « génocide » revient de plus en plus souvent : on entend parler, par exemple, de « féminicide » ou de « génocide culturel breton ». Je suis bretonne d’origine et connais la fameuse pancarte des instituteurs de la IIIe République : « Il est interdit de cracher par terre et de parler breton. » Cette formulation est devenue l’étendard d’un prétendu « génocide culturel breton » dont les hussards de la République se seraient rendus coupables.
La rhétorique victimaire est identique chez toutes les minorités : si vous n’êtes pas d’accord avec l’idée de marier deux hommes ou deux femmes, vous êtes censés vouloir faire porter le triangle rose aux homosexuels ou même pousser au suicide les jeunes gays. On vit en permanence sous le régime de la dénonciation. Les jeunes socialistes viennent ainsi d’ouvrir un site où l’on est invité à dénoncer les « élus homophobes », sous le titre « signaler un dérapage [2] ». La menace du procès pèse comme une épée de Damoclès sur les opposants. Intimider l’adversaire pour le faire taire est une technique éprouvée expliquant le lobbying intensif auprès du législateur pour qu’il multiplie les incriminations pénales tendant à réprimer les offenses aux différentes communautés.
On observe aussi un formatage du vocabulaire et de la syntaxe. La contestation ou le désaccord sont désormais qualifiés de « phobies », c’est-à-dire de pathologies mentales nécessitant répression mais aussi rééducation. Rééduquer pour prévenir le « préjugé », car l’adversaire n’a jamais un simple jugement mais toujours un préjugé. C’est pourquoi tout converge vers l’école et les manuels scolaires avec la complicité des autorités publiques qui ne semblent plus capables de résister à quoi que ce soit. Il faut « commencer par la base ». Après avoir rencontré son homologue suédoise, Madame Belkacem vient de décider de s’attaquer au « genre [3] » à la crèche…
On lit ceci sur le site de SOS-homophobie : « Les membres du jury ont voté en majorité pour le film “Le Baiser de la lune”, destiné aux enfants de CM1 et CM2 et mettant en scène une histoire d’amour entre deux poissons garçons. Comme tout outil pédagogique destiné à banaliser l’homosexualité à l’école, SOS-homophobie soutient le film qui permettra aux plus jeunes d’avoir accès à la diversité des relations amoureuses […]. Le travail de prévention à effectuer en milieu scolaire, qui passe également par des interventions comme celles réalisées par notre association au collège et au lycée, n’en sortira que plus renforcé [4]. »
Voilà donc déjà le contexte, dans lequel évolue ce projet de loi, très important à saisir pour comprendre la façon dont les esprits sont préalablement formatés et les cerveaux lobotomisés. Ce que le doyen Carbonnier, juriste civiliste et sociologue du droit, appelle « la pulvérisation du droit objectif en droits subjectifs » se réalise dans ce projet de loi particulièrement exemplaire où l’institution du mariage – et de la filiation qui lui est intimement liée – est accusée d’être discriminatoire à l’égard de deux hommes ou deux femmes.

Un changement de définition

Ceux qui affirment que l’on est en train d’abattre un tabou ont raison : il existe dans les sociétés deux grands tabous, la différence des sexes et celle des générations. Pour l’institution du mariage, ce n’est pas un bouleversement, c’est une dénaturation complète, dans la mesure précisément où l’institution du mariage est fondée sur la différence des sexes. Le refus de reconnaître une relation matrimoniale et familiale homosexuelle est facilement taxé d’homophobie. Mais l’opposition au mariage homosexuel n’est pas un refus de l’homosexualité. Le mariage homosexuel désexualise le mariage. Sous l’effet des exigences d’une minorité, le droit de la famille va consacrer un « impossible ». Jean-Louis de Lolme, disciple de Rousseau, disait que le parlement anglais pouvait tout faire sauf changer un homme en femme. Aujourd’hui c’est exactement ce que propose de faire le législateur : écrire dans la loi civile une impossibilité de fait.
En droit, on dit qu’un mariage est « consommé » quand l’union sexuelle entre un homme et une femme a eu lieu ; à défaut de « consommation », le mariage est nul. Je ne sais pas comment la jurisprudence va traiter cette question. Déjà en 1999, la loi sur le PACS, en utilisant l’expression de « couple de même sexe » (que reprend le titre du projet de loi actuel), a commis un premier faux sémantique : deux « mêmes » forment une « paire » et non un « couple ». La loi de 1999 a déjà changé la définition du couple, maintenant c’est la définition du mariage que l’on veut changer.
En droit, l’institution du mariage a pour but la protection du couple en vue de sa progéniture dont il est inséparable. C’est parce qu’il y a une fondation familiale par le couple que le législateur s’y intéresse. C’est une protection légale des enfants. Sinon il suffirait d’un « contrat » dans lequel les gens négocieraient leur vie commune. Une partie du mariage est contractuelle : les deux époux doivent consentir au mariage, c’est-à-dire à l’application d’un statut législatif et certains aspects patrimoniaux peuvent être complétés par un « contrat de mariage ». Mais le mariage a toujours en vue ce que l’union d’un homme et d’une femme va produire.
Le Conseil constitutionnel a lui-même rappelé que le cadre légal du mariage est destiné à la famille : « Le régime du mariage a pour objet non seulement d’organiser les obligations personnelles, matérielles et patrimoniales des époux pendant la durée de leur union, mais également d’assurer la protection de la famille […]. Ce régime assure aussi une protection en cas de dissolution du mariage [5]. » C’est aussi ce lien entre mariage et famille qu’affirme l’article 12 de la Convention européenne des droits de l’homme : « À partir de l’âge nubile, l’homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant l’exercice de ce droit. » Et l’article 23 du Pacte des Nations Unies sur les droits civils et politiques indique : « Le droit de se marier et de fonder une famille est reconnu à l’homme et à la femme à partir de l’âge nubile. » Cette référence à l’âge nubile fût, pendant longtemps, en droit canonique comme en droit républicain, celui de la puberté. C’est pour cette raison qu’il n’était pas le même pour les garçons et pour les filles (15 ans et 13 ans). Ensuite l’âge du mariage a été reculé pour réduire le nombre d’enfant et pour tenir compte de la maturité [6].
Cette référence à l’âge nubile, montre bien ce qu’est le mariage c’est-à-dire l’institutionnalisation juridique de l’union sexuelle d’un homme et d’une femme et de la procréation qui en résulte. C’est aussi le risque de consanguinité qui conduit, bien sûr, à prohiber le mariage entre frère et sœur, oncle et nièce, tante et neveu, afin d’éviter des enfants portant des tares.
Les partisans du mariage homosexuel font valoir la distinction entre mariage civil et religieux, mais dans les deux cas la finalité de l’institution du mariage est liée à la procréation. Nous avons une règle propre à la France, contenue dans l’article 433-21 du Code pénal : « Tout ministre d’un culte qui procédera, de manière habituelle, aux cérémonies religieuses de mariage sans que ne lui ait été justifié l’acte de mariage préalablement reçu par les officiers de l’état-civil sera puni de six mois d’emprisonnement et de 7 500 € d’amende. » La France est le seul État occidental à prévoir une telle sanction, héritée de la Terreur, dans son arsenal répressif. En Italie et en Espagne par exemple, le mariage religieux suffit à produire des effets civils. Certains opposants catholiques au « mariage pour tous » commencent d’ailleurs à s’interroger sur l’opportunité de ce maintien dans le cadre de la nouvelle loi.

Incohérences et imbroglio juridique

Aujourd’hui existe la présomption de paternité pour le mari de la mère qui accouche, car celui-ci est présumé être le père, et la finalité du code est de toujours donner un père à un enfant. Ce n’est toutefois pas une présomption irréfragable : elle peut tomber s’il est prouvé que le père est un autre homme. Les militantes lesbiennes veulent faire consacrer une « présomption de parenté », mais dans le cas de deux femmes, qu’est-ce que cela peut signifier ? Sur quoi peut-on fonder la présomption de parenté d’une femme à l’égard de l’enfant d’une autre, puisqu’une femme ne peut pas en engrosser une autre et qu’elle ne donnera pas un père à l’enfant ?
Initialement, on en était réduit à supprimer les termes père et mère non seulement du code civil mais de tous les codes (sécurité sociale, allocations familiales…), soit des centaines de dispositions. C’était prévu dans l’article 4 du projet de loi. En Espagne on a instauré un progenitor A et un progenitor B. Le gouvernement a fait marche arrière par un « article balai » indiquant que toutes les dispositions de loi mentionnant « père et mère » seront désormais applicables aux « parents de même sexe [7] ». Le gouvernement se résigne finalement à concevoir des livrets de famille distincts pour hétérosexuels (père et mère) et pour homosexuels (deux pères ou deux mères). Chassez la différence, elle revient au galop.
En outre, cette « parenté » que veut consacrer le projet est éminemment incohérente et génère un imbroglio juridique. Le concept de parents de même sexe transforme la signification même de la filiation, dès lors que les parents ne sont plus ceux qui ont engendré l’enfant, mais seulement des adultes investis dans un « projet parental ». C’est le « projet », donc l’intention qui fait le parent. On nous parle de « parenté sociale » ou de « parenté intentionnelle ».
Il en résulte des incohérences en cascade. La plus évidente est que cette parenté intentionnelle ne concerne que le second parent. Lorsqu’une femme s’est fait inséminer à l’étranger par un donneur anonyme, elle se considère comme la mère de l’enfant au titre de ce qu’elle est. C’est pour sa compagne que la reconnaissance de la parenté sociale est réclamée. La définition de la parenté sera donc différente : pour la première, la définition restera biologique ; pour la seconde elle sera intentionnelle. Mais que devient alors le second parent biologique ? Si la compagne de la mère est désignée comme seconde mère, par exemple, que devient le père biologique ?
La Cour de l’Ontario a déjà été conduite à admettre trois parents identifiés car le géniteur voulait être reconnu. Les deux femmes qui étaient « parents » ont dû en accepter un troisième. Toutes les fondations du droit de la famille vont s’écrouler sous cette nouvelle conception et la parenté multiple suivra logiquement. En droit, il est difficile d’arrêter un tel processus.
Il ne sera plus concevable d’imposer à un homme, comme c’est le cas aujourd’hui, une paternité non désirée, fut-elle biologique, si la biologie est évacuée de la définition de la filiation. Il devrait suffire à un homme de prouver qu’il ne désirait pas l’enfant pour se dégager de sa paternité. La présomption de paternité, actuellement fondée sur la seule biologie, devrait donc disparaître, et c’est ce que propose Maître Caroline Mecary, l’avocate du lobby homosexuel.
Lors des séparations parentales, la Convention internationale sur les droits de l’enfant du 20 novembre 1989 consacre « le droit de l’enfant de préserver son identité et d’entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts avec ses deux parents sauf si cela est contraire à son intérêt ». Aujourd’hui, la loi française, notamment celle du 4 mars 2002, ainsi que les juges partent du postulat qu’un enfant a besoin de son père et de sa mère et qu’en conséquence il convient a priori de l’aider à maintenir des relations avec chacun d’eux. Avec la nouvelle loi, ce postulat tombe puisqu’il serait admis qu’un enfant peut sans dommage ne pas avoir de père ou de mère. Cela fragilisera donc la place de tous les pères et mères et la protection que la loi accorde au lien qui les unit à leur enfant en cas de séparation. La coparentalité, qui est l’objectif du législateur de 2002 sur l’autorité parentale, est remise en cause par cette nouvelle loi. Et les pères divorcés vont se retrouver dans une situation difficile.
On aboutit à des contradictions flagrantes. La Cour européenne des droits de l’homme considère, de son côté, que le droit de tout être humain à connaître ses origines est fondamental et a même condamné un pays de l’Est dont le droit ne contenait pas la possibilité de contraindre un homme à subir un test ADN. D’un côté, on prétend que tout être humain a le droit de connaître ses origines biologiques. De l’autre côté, on envisage l’inverse.

Quelle insécurité juridique ?

Les militants homosexuels invoquent l’insécurité juridique qui serait celle des enfants élevés par des adultes de même sexe pour réclamer que le partenaire du père ou de la mère biologique soit reconnu comme second parent. Mais si l’enfant, élevé par une mère et sa compagne, n’a pas de père ou, élevé par un père et son compagnon, n’a pas de mère, c’est bien par la volonté du parent qui a recouru illégalement à une procréation médicalement assistée 8 ou une gestation pour autrui (GPA). L’affirmation d’une insécurité juridique ne correspond pas à la réalité. En France, en effet, l’assistance médicale à la procréation est encadrée par les lois bioéthiques [9]. Le Conseil constitutionnel les a validées en raison de cet encadrement. La PMA est donc réservée aux couples homme/femme vivants (l’insémination après la mort du père n’est pas possible), en âge de procréer (la PMA n’est évidemment pas accessible à une femme ménopausée car la ménopause n’est pas une maladie). Ces couples doivent souffrir d’une stérilité médicalement constatée. Il s’agit justement de garantir à l’enfant issu de la PMA une filiation cohérente : un père et une mère.
En outre, tous les enfants sont protégés par la loi. Le droit actuel fournit des outils pour tenir compte de chaque situation. Tout d’abord, le père ou la mère d’un enfant peut autoriser son partenaire de même sexe, comme toute autre personne, à accomplir les actes usuels de la vie quotidienne comme, par exemple, aller chercher l’enfant à l’école ou accomplir les actes médicaux courants. Le seul fait de confier son enfant à un tiers donne à celui-ci un mandat tacite d’accomplir les actes de la vie quotidienne, sans même avoir besoin de le préciser. Ensuite, lorsque c’est justifié par les besoins de l’éducation de l’enfant, il est possible de partager l’autorité parentale par décision de justice entre le père ou la mère de l’enfant et son partenaire de même sexe (art. 377-1er Cciv.). Le partage de l’autorité parentale n’est pas automatique et doit être justifié par les besoins de l’éducation de l’enfant, ainsi que la Cour de cassation l’a rappelé : « Si l’article 377, alinéa 1er, du Code civil ne s’oppose pas à ce qu’une mère seule titulaire de l’autorité parentale en délègue tout ou partie de l’exercice à la femme avec laquelle elle vit en union stable et continue, c’est à la condition que les circonstances l’exigent et que la mesure soit conforme à l’intérêt supérieur de l’enfant » (Cass. 1re civ., 8 juill. 2010, no 09-12.623).
En cas d’urgence médicale, on se passe de l’accord du ou des titulaires de l’autorité parentale et le partenaire du parent peut parfaitement agir (art. L. 1111-4 CSP et 16-3 Cciv.). Il n’est pas nécessaire d’être associé à l’autorité parentale pour cela.
En cas de séparation des adultes, s’il est dans l’intérêt de l’enfant de garder des liens avec un adulte avec lequel son père ou sa mère a vécu et noué une relation (par exemple les grands-parents ou des oncles ou tantes), ces liens peuvent être maintenus à l’amiable et, à défaut, par le juge, s’il estime que c’est dans l’intérêt de l’enfant (art. 371-4 al 2 Cciv.). C’est toujours l’intérêt de l’enfant qui prime, par exemple pour encadrer ou supprimer le droit de visite en cas de parent violent, alcoolique ou moralement dangereux.
Contrairement à ce qui est prétendu, il n’y a pas d’insécurité juridique non plus sur le devenir de l’enfant en cas de décès. Une tutelle peut être organisée dans le cas où l’enfant n’a pas de second parent légalement identifié. Or, le père ou la mère peut désigner par testament son partenaire de même sexe ou de sexe différent, comme tuteur de l’enfant (art. 397 Cciv.). Tous les parents partagent le même souci, et tous peuvent désigner, de leur vivant, un tuteur pour leur enfant.
La loi permet et accompagne donc le lien existant entre l’enfant et l’adulte qui l’élève. Tout lien d’affection n’a pas à être reconnu comme un lien de filiation. Si cet adulte ne peut pas être reconnu comme second parent, ce n’est pas parce que son investissement éducatif et affectif n’existerait pas. Ce n’est pas parce que l’on aime un ami comme un frère et même plus que l’on va reconnaître juridiquement cet ami comme frère. La fratrie n’implique pas toujours l’amour. On peut être fâché avec ses frères ou sœurs. Il n’en reste pas moins des frères et sœurs issus des mêmes parents. On ne peut priver de sens le concept de fratrie. L’amour ou l’affectif ne peuvent pas créer de facto un lien juridique. À plus forte raison, les qualités de père et mère ne peuvent être reconnues à des personnes qui ne correspondent pas à la définition objective des parents, sous peine de priver le concept de sens.
Elisabeth Guigou affirmait devant l’Assemblé nationale, lors du vote de la loi sur le PACS, qu’il ne faut pas confondre différenciation et discrimination : « Le domaine dans lequel la différence entre homme et femme est fondatrice et d’ailleurs constitutive de l’humanité c’est bien celui de la filiation ». Elle poursuivait : « Un enfant a droit à un père et une mère quel que soit le statut juridique de couple de ses parents. » Elle ajoutait : « Je veux être parfaitement claire. Je reconnais à toute personne le droit d’avoir une vie sexuelle de son choix mais ce droit ne doit pas être confondu avec un hypothétique droit à l’enfant. On ne peut pas en filiation abolir la différence des sexes [10]. » On vit une époque particulière où l’on proclame le droit à la différence au nom de la diversité tout en l’effaçant en même temps au nom du droit à l’égalité.

Débat

  • Q : Je retiens de votre intervention que l’institutionnalisation du mariage homosexuel développe un processus incohérent et contradictoire du point de vue juridique en créant des problèmes impossibles à démêler. La justice va se retrouver dans l’embarras, comme cela s’est passé avec la loi sur le harcèlement moral dans les entreprises. On va alors assister à un vaste méli-mélo sur une situation déjà compliquée.
    Ce point étant posé, je voudrais connaître la réponse que vous donnez à deux types d’arguments. Le premier part d’une réalité juridique : il est déjà juridiquement possible pour des célibataires d’adopter des enfants, donc par un seul parent isolé. Pourquoi alors refuser l’adoption un couple homosexuel ?
    L’autre argument est celui de l’« opportunité » et de l’« usage » : « L’extension de l’institution du mariage à deux personnes du même sexe n’est pas une question de principe mais d’opportunité. Je constate que la chose qui eût passé pour aberrante et scandaleuse il y a encore un demi-siècle correspond aujourd’hui à une poussée générale dans la plupart des sociétés avancées. À tort ou à raison, les homosexuels ont choisi d’en faire le symbole suprême de leur normalisation. J’ignore si l’institution du mariage civil s’en trouvera confortée ou affaiblie encore davantage, mais il est vrai aussi qu’elle compte de moins en moins pour un nombre croissant de Français. Quant à l’adoption, elle me paraît une conséquence naturelle du mariage pour tous. Quand bien même d’ailleurs celui-là ne serait pas requis, l’adoption pour tous me parait un droit incontestable. En matière de mœurs, c’est l’usage qui fait loi et la liberté qui doit être la règle [11]. »Qu’en pensez-vous ?
  • Anne-Marie Le Pourhiet : Tout d’abord, l’adoption par les célibataires a été admise par une loi conjoncturelle liée à la guerre. Il s’agissait de permettre à des femmes seules d’adopter des enfants en raison du grand nombre d’orphelins. On n’a jamais pensé à abroger cette loi alors qu’elle tombait en désuétude. Dans les années 1970, on l’a maintenue pour ne pas introduire une discrimination, déjà, entre femme mariée et femme célibataire. Mais la Cour européenne a dès lors considéré que la France ne pouvait pas faire de discrimination entre les femmes célibataires selon leur orientation sexuelle et refuser l’agrément à une lesbienne sur ce seul motif. Actuellement, il suffit donc de se déclarer seule, comme ne vivant pas en couple, pour pouvoir adopter un enfant.
    L’argument de l’évolution des mœurs est ancien. Le juriste distingue le sein (ce qui est) du sollen (ce qui doit être). Les deux en droit ne se confondent pas. Par exemple, ce n’est pas parce qu’il y a beaucoup de vols qu’il faut dépénaliser le vol. L’évolution des mœurs existe, mais ne peut pas être en soi un argument de droit. Il existe des pressions sociales diverses qui peuvent apparaître parfois aberrantes Il devient impossible, par principe de non-discrimination, de refuser des droits à des gens qui les réclament. Au nom de l’amour peut-on refuser le mariage avant 18 ans alors que tant de jeunes s’aiment. Pourquoi conserver dans le droit la notion d’âge nubile qui est discriminatoire et contrarie l’amour des jeunes ?
    Si l’on a comme seul critère l’évolution des mœurs, l’amour ou l’égalité, il faut bien entendre l’argument de l’archevêque de Canterburry qui dit que l’on ne va pas pouvoir échapper à la reconnaissance de la polygamie en Grande-Bretagne. Si un homme musulman aime trois femmes, on peut invoquer une discrimination entre les cultures : au nom de quoi une culture polygame serait niée au profit d’une culture judéo-chrétienne ? Il existe des pays polygames où les femmes d’un même homme habitent ensemble ou séparément. En revanche le fait que le mariage unisse un homme et une femme est universel.
    Dans les sociétés à forte immigration, il existe différentes « poussées » sociologiques selon l’expression de Jacques Julliard. C’est très visible en Grande-Bretagne et au Canada… Mais l’obstacle à la polygamie est seulement culturel alors que l’obstacle au mariage de deux hommes ou deux femmes est beaucoup plus fondamental et universel. Parmi toutes les conditions du mariage, l’altérité sexuelle est consubstantielle. Si cette condition, la plus essentielle, saute, les autres obstacles tomberont. Le multiculturalisme s’en chargera.
  • Q : Vous semblez considérer que le droit est fondé sur des différences « naturelles » entre hommes et femmes. Un argument peut vous être opposé. Cette différence comporte aussi une dimension de construction sociale de la réalité. Je ne suis pas pour la dissociation des deux dimensions pour aboutir à un artificialisme total considérant que la différence des sexes n’est qu’une pure construction sociale. La « construction sociale de la réalité », qui désormais s’applique à la sexualité, et le rapport dominants/dominés sont la grande mode actuelle de la sociologie. Il n’en reste pas moins vrai que la sexualité comporte des dimensions biologique, psychique, sociale et culturelle. C’est l’articulation des ces trois éléments à partir d’une base biologique qui tend à être déniée dans la situation actuelle. Mais en quoi l’abandon du fondement biologique entrainerait-il nécessairement une logique immaîtrisable du point de vue du droit ?
  • Anne-Marie Le Pourhiet : Cette logique est celle de la pure intention, de la bonne volonté. Quand le choix est fait, les effets suivent. Dans ce domaine, l’histoire du droit montre une constante à toutes les époques, même les plus reculées. La question de la sexualité à Rome ou en Grèce, par exemple, n’est pas marquée par l’homophobie, mais pour autant le mariage homosexuel n’a évidemment jamais été consacré. On n’épousait pas ses éphèbes. On raconte cependant que Néron aurait fait castrer son jeune esclave pour simuler des épousailles dans l’intention, justement, de se moquer du mariage. Dans l’Athènes antique, la pédérastie était acceptée socialement. Il faut bien distinguer la tolérance pour des pratiques sexuelles et l’institution du mariage, car c’est bien de cela qu’il s’agit. Le refus de reconnaître une relation matrimoniale et familiale homosexuelle est aujourd’hui taxé d’homophobie, mais l’opposition au mariage de deux hommes ou femmes n’est pas une condamnation de l’homosexualité.
  • Q : L’égalité est fréquemment évoquée. Sur quels fondements juridiques s’appuyer pour refuser les mères porteuses ? Si deux couples de femmes peuvent avoir recours à la procréation médicalement assistée, pourquoi deux couples d’hommes ne pourraient avoir d’enfants en ayant recours à une mère porteuse ?
  • Anne-Marie Le Pourhiet : C’est en effet un débat au sein de la majorité présidentielle. Bertrand Delanoë, maire de Paris, par exemple, s’est prononcé contre, mais il ne vote pas les lois. Mais au nom de l’égalité, en effet, cette demande sera plaidée, car elle l’a été ailleurs. L’argument de l’atteinte à la dignité de la personne humaine dans la gestation pour autrui entrainerait sans doute une censure du Conseil constitutionnel. Dans tout le spectre politique, à gauche comme à droite, les politiques ont du mal à s’opposer à la pression des catégories de toutes sortes. En matière de bioéthique, Axel Kahn disait que l’on fait un nouveau pas à chaque fois et que l’on arrive un jour, en se retournant, à constater un gouffre derrière soi. L’affaire Perruche [12] a été significative de la mécanique du raisonnement judicaire.
  • Q : Nous sommes toujours sous l’emprise de la jurisprudence des décisions de la Cour européenne des droits de l’homme. Si nous pouvons avoir une opinion à propos de l’hubris très dangereuse de dissocier les catégories juridiques, naturelles, biologiques, la Cour est déjà allée très loin dans cette artificialisation. Dans un arrêt Godwin elle dit que la différence sexuelle n’est pas essentiellement biologique. Elle dissocie la catégorie juridique de toute référence biologique.
  • Anne-Marie Le Pourhiet : Il s’agit d’un arrêt compliqué et très contesté qui se fonde d’une part sur des sondages d’opinion et des critères médiatiques et d’autre part sur des textes internationaux d’autres ordres juridiques (canadien, américain…) que celui de la Convention européenne des droits de l’homme. Les juges de la Cour des droits de l’homme sont chargés d’appliquer le texte européen et rien d’autre. Cet arrêt est très étrange mais la Cour se contredit souvent. Dans d’autres arrêts, à l’inverse, elle essentialise la biologie…
  • Q : La loi sur le droit de vote des étrangers européens ayant nécessité une révision de la Constitution, pourquoi une loi sur le mariage homosexuel pourrait se faire sans révision alors que les conséquences sur la société sont importantes ?
  • Anne-Marie Le Pourhiet : Le principe de contrôle de constitutionnalité (dans tous les pays) établit que l’organisation politique de l’État et son contrat social, son système de valeurs sont au-dessus de la loi. Ils ne peuvent pas être modifiés par des majorités passagères. On peut réviser une Constitution par une majorité renforcée (l’Assemblée nationale et le Sénat réunis en Congrès) ou par l’appel au peuple (référendum). Le juge constitutionnel n’a pas à porter un jugement de valeur sur la loi mais seulement à dire si ce texte doit être adopté selon une autre procédure. Dans cette loi sur le mariage homosexuel, la mise en cause du contrat social des Français est telle qu’il faudrait assurément une loi constitutionnelle. L’argument de l’approbation préalable d’un programme électoral n’est pas suffisant. Par ailleurs, est-il certain que les électeurs de François Hollande aient voté pour lui en adhérant à ce projet de mariage ?
    Il me paraît faux de dire que le référendum législatif ne serait pas possible sur une telle question puisque l’article 11 vise « les réformes relatives à la politique économique, sociale et environnementale de la Nation ». Or social veut dire « relatif à la société » et il est bien évident que la famille est la cellule de base de la société. Parmi ses 233 membres, le Conseil économique, social et environnemental comprend ainsi 60 membres au titre de la cohésion sociale et territoriale et de la vie associative parmi lesquels, évidemment, des représentants des associations familiales. Depuis la révision de 1995, il n’y a pratiquement plus aucune question qui ne puisse être soumise au référendum législatif tant la terminologie adoptée est large.
  • Q : La loi étant votée, sera-t-il possible de revenir en arrière ? Ce type argument a été du reste antérieurement employé pour le PACS.
  • Anne-Marie Le Pourhiet : En droit, pour l’instant, la non rétroactivité ne vaut que pour une nouvelle loi pénale plus dure qui ne peut s’appliquer à des faits commis antérieurement à la nouvelle loi. La question du démariage ne s’étant jamais posée, nous sommes dans l’inconnu et cela semblerait très difficile Mais il est toujours possible d’abroger une loi. À la suite de quoi de nouveaux mariages seraient impossibles. Depuis le 1er mars 2010, le Conseil constitutionnel peut abroger sur une QPC (question prioritaire de constitutionnalité) les dispositions de loi déjà promulguées qu’il juge contraires à la Constitution.
  • Q : Quel principe juridique opposer à cette revendication de liberté ? Vous avez évoqué dans un article [13] l’éventualité d’un recours devant le Conseil constitutionnel si cette loi contrevient aux principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. Croyez-vous possible ce recours et si oui quels principes fondamentaux sont en cause ? Je ne vois pas quels peuvent être ces principes hormis celui de ne pas porter atteinte à la dignité de la personne humaine qu’il me semble difficile d’invoquer.
  • Anne-Marie Le Pourhiet : Attention aux notions elles-mêmes. La liberté est un droit « de » alors que ce qui est réclamé est un « droit à », c’est-à-dire un « droit créance » consistant à exiger quelque chose de l’État. Dans la revendication d’une liberté, on demande à l’État son indifférence, son abstention, dans celle d’une créance, on attend au contraire de l’État sa reconnaissance et son intervention pour satisfaire la revendication.
    Pour mon audition au Sénat, j’ai repris tous les textes depuis 1792. Les principes fondamentaux de la République font références aux lois républicaines antérieures à 1946. En 1792, on débat pour la définition du mariage et certains considèrent que c’est un simple contrat. Dans la rédaction du code civil, c’est Cambacérès, homosexuel notoire, qui insiste pour qu’on précise que le mariage est l’union d’un homme et d’une femme en vue d’une progéniture. Avant que le suffrage féminin soit introduit en 1944, plusieurs lois, y compris constitutionnelles, ont conditionné l’acquisition de la citoyenneté au mariage avec « une Française ». Incontestablement, toutes les lois républicaines ont consacré le mariage comme l’union d’un homme et d’une femme jusqu’aux articles actuels du Code civil (art. 75 et 144). L’article 75 dispose : « L’officier d’état-civil recevra de chaque partie l’une après l’autre la déclaration qu’elles veulent se prendre pour mari et femme. » L’article 144 dit : « L’homme et la femme ne peuvent contracter mariage avant dix-huit ans révolus ». Le Conseil constitutionnel a reconnu le droit de tout être humain à « une vie familiale normale ». Les arguments ne manquent donc pas ; si le Conseil constitutionnel veut censurer, il a la matière. Mais il a toujours adopté une position basse sur les grandes questions. Et trois nouveaux membres doivent être nommés début mars par la majorité. Jean Rivero, citait ce proverbe arabe qui résume la jurisprudence du Conseil constitutionnel : « Filtrer le moustique et laisser passer le chameau. »
  • Q : Est-ce dans les principes républicains de se référer constamment à une situation biologique ? Est-ce qu’on peut dire que ce n’est pas un principe mais un « référent » ? Par ailleurs on entend dire que cette loi concerne très peu de gens. Les autres doivent-ils alors se considérer comme concernés ? La réponse est loin d’être évidente pour nos contemporains.
  • Anne-Marie Le Pourhiet : L’argument quantitatif a été utilisé aussi dans le débat sur le port de la burqa : il ne fallait pas légiférer pour quelques cas isolés. L’argument quantitatif n’en est pas un quand il s’agit d’une question qualitative fondamentale. Mais la loi sur le mariage homosexuel traduit une idéologie qui est et doit être diffusée à l’école. On va voir se multiplier les demandes d’objection de conscience. L’éducation des enfants devient un enjeu communautaire. L’idée est de revoir tous les manuels scolaires. Ce n’est pas un fait du hasard si, récemment, tous les projets de lois suscités par des communautés s’attaquaient aux programmes scolaires, par exemple enseigner l’esclavage ou dire le rôle de la colonisation, chaque lobby voulant avoir son chapitre du manuel, avec sa version. Dans son livre La crise de l’identité américaine [14], Denis Lacorne a montré comment les manuels scolaires étaient devenus l’enjeu du multiculturalisme aux États-Unis. Il raconte que lorsqu’il a fallu faire la liste des grands inventeurs du siècle, on a trouvé qu’il y avait trop d’hommes originaires du continent européen, souvent juifs, une seule femme (Marie Curie) et pas de Noir. On a donc été chercher un « savant » new-yorkais afro-américain qui avait inventé l’application de la machine à coudre aux semelles de chaussures mais aussi un handicapé ! Ces « découvertes » ont été rangées à côté de Linné et Darwin mais on n’a pas cité Einstein ni Pasteur.
  • Q : Votre intervention donne l’impression qu’il n’existe pas de problème. Mais il faut quand même prendre en compte la réalité des couples homosexuels qui ont déjà des enfants adoptés, issus de la PMA ou de la GPA. Comment prendre en compte juridiquement les liens qui existent pour un enfant élevé par un couple homosexuel ?
  • Anne-Marie Le Pourhiet : En droit, il faut savoir exactement de quoi on parle. Vous évoquez des « liens », mais juridiquement, cette notion n’existe pas. Il faut distinguer l’affectif et le droit. Juridiquement, il existe une possibilité de prendre en compte les situations que vous évoquez : on peut déléguer l’autorité parentale. La Cour de cassation a accepté cette délégation à la compagne d’une mère. Toute la presse en a parlé. Et certains l’ont même considéré, à tort, comme une reconnaissance de l’homoparentalité. Ce n’est pas le cas puisqu’il s’agit justement de la délégation à un tiers et non à un parent. En matière de succession, le sujet est d’ordre fiscal. La logique prenant en compte les différences, c’est le contrat. Le mariage est quant à lui lié à la filiation. Comme l’avait bien dit Elisabeth Guigou en 1998 à l’Assemblée nationale : « Pourquoi l’adoption par un couple homosexuel serait-elle une mauvaise solution ? Parce que le droit, lorsqu’il crée des filiations artificielles, ne peut ni ignorer, ni abolir la différence entre les sexes. Cette différence est constitutive de l’identité de l’enfant et du sens de cette identité ; c’est-à-dire qu’est-ce qu’être un homme ou une femme ? Je soutiens comme de nombreux psychanalystes et psychiatres qu’un enfant a besoin pour sa structuration psychique, sociale et relationnelle d’avoir face à lui, pendant sa croissance, un modèle de l’altérité sexuelle, un référent homme et un référent femme. Un enfant adopté, déjà privé de sa famille d’origine, a d’autant plus besoin de stabilité sans que l’on crée pour lui, en vertu de la loi, une difficulté supplémentaire liée à son milieu d’adoption [15]. »

(*)Anne-Marie Le Pourhiet, professeur de droit public à l’Université Rennes 1. Cette lettre rend compte du Mardi de Politique Autrement du 22 janvier 2013, avant le vote de la loi.

Notes

[1] François FURET, « L’Amérique de Clinton II », Le Débat n° 94, février 1997.

[2] « Signaler un dérapage – Depuis que le gouvernement a annoncé son intention d’ouvrir le droit au mariage et à l’adoption à tous les couples, les dérapages homophobes d’élus se multiplient. Pour ne pas les laisser tomber dans l’oubli, nous vous proposons de les signaler sur cette carte participative en remplissant le formulaire ci-dessous. » Source : http://www.jeunes-socialistes.fr/alerte-elus-homophobes

[3] Les théories du genre apparaissent dans les années 1970 dans les universités nord-américaines sous le nom de « gender studies ». Elles considèrent que l’identité sexuelle n’est pas déterminée par la nature mais une construction sociale et culturelle.

[4] Source : http://www.sos-homophobie.org/article/le-prix-pierre-guenin-contre-lhomophobie-2010-est-remis-au-film-le-baiser-de-la-lune

[5] N0 011-155 QPC du 29 juillet 2011, cons. 7.

[6] En France selon la loi du 6 avril 2006, (loi 2006-399), l’âge légal du mariage est désormais 18 ans pour les hommes et pour les femmes. Avant cette date, la mariée devait avoir au moins 15 ans et le marié au moins 18 ans. Les mariées mineures devaient donc fournir l’autorisation de l’un des parents ou des tuteurs légaux.

[7] L’amendement d’Erwann Binet (le rapporteur) est surnommé « article balai » Pour éviter des centaines d’exceptions dans différents codes, l’article règle désormais la question en une fois en précisant que, lorsqu’il s’agit de couple de même sexe, les mots « père » et « mère » doivent être interprétés en conséquence et s’appliquent « aux parents de même sexe, lorsqu’elles font référence aux père et mère ; aux aïeuls de même sexe, lorsqu’elles font référence aux aïeul et aïeule ; aux conjoints survivants de même sexe, lorsqu’elles font référence aux veuf et veuve ; aux branches parentales, lorsqu’elles font référence aux branches paternelle et maternelle. »

[8] Appelée également assistance médicale à la procréation (AMP).

[9] L’assistance médicale à la procréation est encadrée par la loi de bioéthique no 2004-800 du 6 août 2004, dispositions qui ont été révisées par la loi du 7 juillet 2011. L’assistance médicale à la procréation est définie par l’article L2141-1 du Code de la Santé publique.

[10] Elisabeth GUIGOU, ministre de la Justice, discours à l’Assemblée nationale, le 3 novembre 1998, sur proposition de loi relative au PACS. Source http://discours.vie-publique.fr/notices/983002915.html

[11] Jacques JULLIARD, éditorial « Sans moi », Marianne, n° 821, du 12 au 18 janvier 2013.

[12] L’affaire Perruche est une affaire relative à l’indemnisation du « préjudice d’être né » qui s’est déroulée à partir de 1989 en France, devant les tribunaux français, le Parlement français, puis la Cour européenne des droits de l’homme et enfin le Conseil constitutionnel. Nicolas Perruche est né gravement handicapé, sa mère ayant contracté une rubéole non diagnostiquée.

[13] Anne-Marie LE POURHIET, « Les droits contre le Droit », Causeur, n° 55, janvier 2013.

[14] Denis LACORNE, La crise de l’identité américaine, Gallimard, 2003, coll. Tel.

[15] Elisabeth GUIGOU, ministre de la Justice, discours à l’Assemblée nationale, le 3 novembre 1998, sur proposition de loi relative au PACS. Source http://discours.vie-publique.fr/notices/983002915.html