Rémy Prud’homme (*)

Le terme d’écologistes recouvre des significations différentes. En France, il fait surtout référence aux groupes de citoyens qui militent en faveur de mesures socio-économiques pour la protection de la nature, alors que dans d’autres pays les écologistes se réclament davantage de la science physique et naturelle. Le mouvement écologiste est devenu un acteur social et un lobby tout à fait intéressant. Il est difficile de donner des chiffres sur la force qu’il représente, mais s’il coïncidait avec le mouvement politique des Verts, on pourrait dire que plus de 15 à 20% de gens s’y reconnaissent.

L’influence accrue du mouvement écologiste

C’est un mouvement international que l’on trouve dans tous les pays développés — dans les pays en développement la situation est totalement différente — et la France a pris cette direction, bien après d’autres pays. C’est un mouvement organisé, structuré de manière complexe, non pyramidal comme peuvent l’être l’Église catholique ou comme l’était le mouvement communiste. Il existe dans chaque pays une diversité d’associations et certaines, comme Greenpeace ou WWF, sont de véritables multinationales de l’environnement qui brassent beaucoup d’argent. Ce mouvement est maintenant appuyé par l’industrie. On parlait autrefois de complexe militaro-industriel, principalement aux États-Unis à l’époque de la guerre froide. Des groupes d’entreprises vendaient des productions à l’armée américaine en agitant la menace de l’Armée rouge bien au-delà de la réalité. On a maintenant un complexe écolo-industriel. Il existe en effet des entreprises qui ont beaucoup à gagner à ce que les idées et les politiques écologiste se répandent. On s’apprête, par exemple, à dépenser 300 ou 400 milliards d’euros en isolation des bâtiments. Si vous êtes un fabricant d’isolant, comme Saint-Gobain, vous n’êtes pas mécontent de l’apprendre. On annonce également 100 milliards d’euros dans la fabrication de lignes de TGV : la fédération des Travaux publics et Alstom qui fabrique les trains ne peuvent que s’en réjouir. De grandes entreprises directement intéressées par ces politiques mettent désormais en avant leurs publicités écologistes.
Le mouvement écologiste se veut d’autre part scientifique. Le thème du réchauffement climatique est devenu, au fil des ans et d’assez loin, le moteur principal du mouvement, bien avant l’hostilité au nucléaire, à l’automobile ou aux OGM qui ont été un peu éclipsés depuis cinq ou six ans. Or le réchauffement climatique est un problème extrêmement complexe et technique sur lequel tout le monde scientifique n’est pas unanime. Je ne suis pas climatologue et ce n’est pas l’objet de mon propos, mais je constate que beaucoup de gens n’ont pas mes scrupules et s’expriment abondamment sur le sujet.
Le mouvement écologiste est enfin de plus en plus actif sur la scène politique et sociale. Il milite pour l’adoption de politiques au niveau local, régional, national et international, avec beaucoup d’efficacité. Il s’adresse à un très vaste public, des enfants des écoles jusqu’aux chefs d’État. Ses analyses, ses idées, ses propositions, ses préconisations sont très bien vendues aux médias, donc au public et aux politiques. Un exemple caricatural de cette influence est le Grenelle de l’environnement qui a marqué le triomphe du mouvement écologiste. Il a consisté principalement à réunir, dans des commissions, des représentants de toutes les associations militantes, en écartant les technocrates des administrations. Et les politiciens ont été largement obligés de suivre le long catalogue de recommandations qui était suggéré. C’est un peu le bréviaire de la pensée écologiste. Il a eu, au Parlement, un succès extraordinaire. Il a été voté par tout le monde, sauf… par trois Verts qui ont paradoxalement trouvé que cela n’allait pas assez loin.
Les mesures présentées par le Grenelle de l’environnement et plus généralement par les écologistes sont, à première vue, tout à fait intéressantes, raisonnables et adaptées aux objectifs poursuivis, le principal étant la réduction des rejets de gaz à effet de serre. Pourtant, quand on y regarde d’un peu plus près, on s’aperçoit que les solutions proposées sont de fausses bonnes idées dans un grand nombre de cas.
J’en ai listé sept : le recours aux biocarburants, le bonus-malus automobile, le transfert du routier vers le ferroviaire, la quasi interdiction du chauffage électrique dans les maisons neuves [1], la promotion de l’éolien et du photovoltaïque, l’interdiction des ampoules à incandescence (remplacées par des ampoules à « basse consommation »), la taxe carbone. Tous ces points ont en commun d’être justifiés par le souci légitime — à un degré dont on peut discuter — de réduire les rejets de CO2. Ce sont en apparence de bonnes idées qui cependant résistent mal à quelques minutes de réflexion. Non seulement ces mesures vont coûter cher aux Français et aux finances publiques, mais, dans beaucoup de cas, elles ne vont même pas dans le sens de la réduction des rejets. Je n’en examinerai ici que quelques-unes.

Rejet de carbone et effet de serre

La taxe carbone est dans l’air du temps. L’idée est ancienne et les économistes en ont été de forts partisans. Aujourd’hui c’est Nicolas Hulot qui est le représentant le plus en pointe de ce mouvement. Sur la base de sa notoriété médiatique, il a exercé un chantage à l’encontre de tous les candidats à l’élection présidentielle de 2007. Sachant qu’ils risquaient de perdre des voix, tous se sont engagés à mettre en œuvre ses propositions, avec au premier rang cette idée de taxe carbone.
Il s’agit de créer une taxe sur la consommation de produits qui rejettent du carbone : le pétrole, le gaz et le charbon. Elle est relativement facile à mettre en œuvre, car tous ces produits sont importés et il est donc possible de les taxer à l’importation. Mais il reste une question : que fait-on des produits qui ont été fabriqués avec des combustibles fossiles chez nos voisins, proches ou lointains, et qui n’ont pas payé la taxe. On avait envisagé à un moment une taxe sur le carbone ajouté, comme une taxe sur la valeur ajoutée, en faisant payer plus cher par exemple les chemises chinoises dont la fabrication a rejeté beaucoup de CO2. Mais on s’est aperçu que c’était techniquement très difficile et que cela contrevenait aux règles de l’OMC. Cette idée a donc été abandonnée.
Je dis que c’est a priori une bonne idée. Tous les économistes considèrent qu’il existe parfois des « externalités », c’est-à-dire des effets qui ne passent pas par le marché. Un bien est produit par des individus qui ont quelque chose à gagner à le produire, d’autres à l’acheter. Mais ce bien peut avoir des effets négatifs (ou positifs) sur d’autres personnes qui ne sont pas partie prenante de la transaction. Prenons un exemple simple d’externalité : si je fume, mon voisin est gêné ; je suis prêt à payer le prix d’une cigarette pour le plaisir que je vais en retirer, mais mon voisin va en souffrir. Il ne peut pas demander d’être payé pour la gêne que je lui cause. Selon les économistes, il faut mettre une taxe de façon que celui qui créée l’externalité paye pour le dommage qu’il cause à autrui. Cela doit avoir pour effet de le faire réfléchir et de causer moins de gêne.
Tout le monde entend parler de l’effet de serre mais, semble-t-il, tout le monde ne sait pas ce que c’est. On a entendu à la fois le président de la République et Michel Rocard dire des sottises énormes sur le CO2 à propos de la taxe carbone. C’est à peine croyable que des gens aussi proches d’une telle décision aient fait une bêtise aussi considérable : ils ont tout bonnement confondu l’effet de serre avec le trou dans la couche d’ozone alors que cela n’a aucun rapport. L’un étant de droite et l’autre de gauche, on peut sourire d’une telle extravagance.
Qu’entend-t-on par effet de serre ? Le soleil émet en grande quantité sur la terre des rayons qui sont indispensables à la vie par leur chaleur. Une partie de ces rayons est absorbée, une autre est rejetée dans l’atmosphère par réverbération. La couche de gaz dite à « effet de serre » maintient ce rayonnement à proximité de la terre, comme le toit en verre d’une serre qui laisse passer le rayonnement solaire et retient la chaleur. Le CO2 représente seulement les 3/4 de ces gaz. L’autre quart est composé notamment du méthane. Ces gaz à effet de serre sont supposés contribuer de manière décisive au réchauffement de la planète. Les spécialiste discutent de l’importance du phénomène de l’effet de serre. Il existe en effet d’autres facteurs. Par exemple, le rayonnement solaire est variable d’une période à l’autre. Le réchauffement constaté depuis une cinquantaine d’années serait principalement dû au CO2, bien qu’il y ait des variations d’un continent à un autre. Depuis une dizaine d’années, le réchauffement ne progresse pas, on observe même une légère diminution. Il reste cependant une possibilité que le réchauffement climatique soit très réel et que les rejets de CO2 engendrent un effet de serre entraînant un réchauffement de la terre qui produirait — dans un temps très long, à la fin du siècle — une augmentation de la température qui pourrait atteindre 3 à 4 degrés, ce qui est de nature à introduire beaucoup de changements. Certains pensent que c’est plus compliqué ou que ce n’est pas vrai. Mais la possibilité n’est pas nulle que ce scénario se réalise. D’où l’importance de chercher à limiter les rejets de CO2 qui viennent tout simplement de la combustion du pétrole, du gaz, du charbon. Il existe deux façons d’y parvenir : forcer les institutions et les individus à rejeter moins de CO2, c’est ce que fait le Grenelle de l’environnement en incitant, par exemple, à l’isolation des maisons ; l’autre façon est de faire payer une taxe. Dans ce cas, plus le prix est élevé, plus les acteurs (industriels, particuliers) sont incités à réduire leurs rejets de CO2.

Quelle efficacité de la taxe carbone ?

Les économistes aiment bien la taxe car ils pensent que c’est la meilleure façon d’atteindre un objectif de réduction au moindre coût. L’idée est que chacun va réduire ses rejets de CO2 à un coût égal au montant de la taxe. Au-delà il n’a pas intérêt et il préfèrera donc payer la taxe. Tout le monde va faire un effort qui va égaliser le coût de réduction du CO2. Ainsi on aura une réduction totale qui sera à un coût total bien plus bas que si l’on décidait que tout le monde doit, dans tous les secteurs, diminuer de moitié, par exemple, ses rejets de CO2. Ce raisonnement paraît simple et logique, mais il n’est vrai qu’à deux conditions La première est qu’il n’y ait pas d’autres mesures prises pour réduire le CO2. La seconde est que le champ où s’applique la taxe et le champ où l’externalité se manifeste soient les mêmes. Or la taxe carbone viole, de beaucoup, ces deux conditions.
Tout d’abord, il existe déjà beaucoup de mesures politiques qui limitent les rejets. Les industries ont un système de quotas de rejets et de marché de quotas de rejets instauré par l’Union européenne. C’est pourquoi les industries sont exonérées de la taxe carbone. Pour les carburants, les taxes sont déjà nombreuses et considérables. En France, ils sont déjà taxés à 150%. Quand on achète de l’essence, on paie surtout de l’impôt. C’est déjà une « taxe carbone » pour le carburant. La taxe carbone vient en fait se superposer à toutes sortes de mesures contraignantes existant déjà. Elle va alors perdre toutes les vertus d’égaliser à la marge le coût de réduction de la tonne de CO2. La justification logique de la taxe carbone disparaît lorsqu’elle s’ajoute à des mesures qui font que les acteurs économiques payent déjà beaucoup. Le gouvernement s’est offert une opération de propagande en emmenant en Suède une vingtaine de journalistes avec Chantal Jouanno, secrétaire d’État chargée de l’Écologie. Celle-ci a déclaré qu’en Suède la taxe carbone est très lourde, aux alentours de 100 euros la tonne de CO2, c’est-à-dire cinq ou six fois ce qui est proposé en France, et cela n’a pas fait de mal particulier à l’économie suédoise. Tous les journalistes l’ont répété. Mais ils ont oublié de dire quel est le prix de l’essence en Suède : celui-ci est inférieur, avec taxe carbone, à celui de la France sans taxe carbone [2]. Tirer de la taxe carbone en Suède la conclusion qu’en France elle ne fait pas de mal à l’économie n’est pas très sérieux, car c’est ignorer les impôts qui existent déjà.
Par ailleurs, autant le système de taxe est bon si on est en circuit fermé dans un pays, autant il perd toute signification si on l’applique dans un pays alors que l’externalité est mondiale. Ce n’est pas avec une politique hexagonale qu’on règle un problème mondial. La France est un pays particulièrement efficace en matière de limitation de rejet de carbone grâce à la politique et à la structure de nos activités. Nous avons beaucoup de nucléaire, des petites voitures, des villes assez compactes… Les différences d’efficacité en carbone entre les différents pays sont absolument considérables. Les pays les moins efficaces sont les pays en développement ou les pays émergents. La Chine, par euro produit, rejette quinze fois plus de CO2 que la France. Les grands gisements de réduction de rejet de CO2, à un coût raisonnable, ne se trouvent pas en France, mais dans ces pays là, et aussi, à un moindre degré, d’autres pays européens qui donnent des leçons. L’Allemagne ou le Danemark rejettent deux fois plus, par euro produit, que la France. Là, il vaut la peine de faire quelque chose. On peut penser qu’il n’est pas très raisonnable de se sacrifier en France, de se tirer dans les genoux, alors que chaque semaine les Chinois ouvrent une nouvelle centrale au charbon. Les dépenses que l’on va engager en France avec un instrument comme la taxe carbone – qui s’ajoute à d’autres mesures – ne sont pas adaptées à la situation.
L’article 2 de la loi dite du Grenelle de l’Environnement dit que l’ambition de cette loi est de faire de la France le pays le plus efficace en carbone de l’Union européenne. Bravo ! Tout le monde applaudit. On peut donc faire payer les gens. Mais regardons de plus près.
Être efficace en carbone veut dire que les rejets de carbone par euro (plus exactement par milliards d’euros) produit sont les plus bas. J’ai cherché à savoir où nous en sommes. Pour cela, il suffit d’aller sur le site d’Eurostat [3]. On y voit que la France est, juste après la Suède, le pays le plus efficace en carbone de l’Union européenne. La loi votée énonce donc une sottise : elle nous donne pour objectif d’aller là où nous sommes déjà. On pourrait en rire en disant : enfin une loi chargée qui va atteindre ses objectifs ! mais j’en reste scandalisé. J’ai essayé d’alerter des parlementaires, mais sans succès.

Les effets pervers des ampoules à basse consommation

Il est une autre fausse bonne idée présentée comme une évidence : les ampoules à basse consommation vont permettre un moindre rejet de CO2. Sous l’influence des écologistes, on s’est dit tout simplement : « Moins de CO2, c’est bien. » Dès qu’on pense économiser un peu de CO2, il convient désormais d’applaudir sans réfléchir. Le Grenelle de l’environnement a appuyé une décision européenne interdisant les ampoules à incandescence et obligeant les consommateurs à acheter des ampoules à basse consommation. En France, les écologistes ont incité le gouvernement à faire plus vite que dans d’autres pays qui se donnent quelques années de plus. Dans un pays comme l’Allemagne qui rejette beaucoup de CO2, le système est peut-être justifié. Mais pour la France, c’est absurde. Cette idée de suppression des ampoules à incandescence a été en fait imposée un peu bêtement.
Nous avions des ampoules à incandescence et sont arrivées les ampoules à basse consommation. Ne chipotons pas sur la comparaison de la qualité de l’éclairage, le fait est que, pour une même quantité d’éclairage, les nouvelles ampoules consomment cinq fois moins d’électricité [4]. C’est en apparence bon pour les consommateurs et bon pour l’environnement, car, dans beaucoup de pays, l’électricité est produite à partir des combustibles fossiles qui rejettent beaucoup de CO2. Obliger les gens au prétexte que c’est leur intérêt ne plaît pas beaucoup aux économistes qui considèrent que lorsqu’il s’agit de leur argent les gens savent où se trouve leur intérêt. On peut cependant penser qu’il y a des cas où ils ne savent pas très bien où est leur intérêt et qu’il faut les forcer. Admettons. Cette interdiction des ampoules à incandescence semblait donc faire un coup double : pour l’environnement et pour le consommateur.
Mais réfléchissons un peu. Il suffit de toucher une lampe qui éclaire pour comprendre qu’elle chauffe. Le courant passe dans un fil qui n’est ni plus ni moins qu’une résistance. Un phénomène physique se produit : il se dégage de l’énergie sous forme de lumière et de chaleur. L’essentiel du courant d’ailleurs se transforme en chaleur et non en lumière, c’est de l’ordre de 90 ou 95%. L’ampoule à basse consommation dépense certes cinq fois moins d’électricité, mais elle va également chauffer cinq ou six fois moins. L’été, c’est parfait ; pour un éclairage de la rue aussi ; mais l’hiver, chez vous, il faudra compenser la perte de chaleur. C’est peu diront certains, mais si on s’intéresse aux économies d’énergie réalisées, ce n’est pas négligeable.
Nous serons donc obligés de chauffer davantage. Comment ? Soit à l’électricité et alors où est l’économie réalisée ? Soit, et c’est la majorité des cas, en consommant davantage de gaz ou de fioul (plus personne en France ne se chauffe au charbon). J’ai fait le calcul avec l’hypothèse d’un éclairage aux deux tiers pendant l’hiver au moment où l’on se chauffe : le calcul montre que l’on va rejeter davantage de CO2 avec les ampoules à basse consommation qu’avec les ampoules à incandescence. Quant aux consommateurs, ils ne feront pas vraiment d’économies pour la raison bien simple que les ampoules à basse consommation coûtent beaucoup plus cher et qu’ils devront se chauffer plus.

Éolien et photovoltaïque : à quel prix ? Pour quelle efficacité ?

L’éolien est un des étendards brandis par les écologistes pour contraindre le gouvernement à étendre l’éolien et le photovoltaïque en France. EDF produit son électricité, en gros, à 80% à partir du nucléaire, 10% en hydraulique et 10% au charbon et au gaz surtout (et de moins en moins au fioul). L’éolien et le photovoltaïque sont encore statistiquement négligeables. Aujourd’hui, nous produisons donc 90 % de notre électricité sans émissions de CO2 et à un faible coût, de l’ordre de deux ou trois centimes par kilowattheures. Mais désormais, la loi fait obligation à EDF d’acheter l’électricité d’origine éolienne et photovoltaïque produite par des individus ou des entreprises à des prix très élevés : l’éolien à huit centimes et le photovoltaïque à cinquante centimes, soit vingt fois plus cher que l’électricité nucléaire. Or EDF n’est pas un mécène et nous payons donc tous notre électricité plus cher pour subventionner l’électricité solaire ou éolienne qui est encore négligeable mais se développe sous la pression des écologistes et au bénéfice de certains industriels. Le coût de production de l’éolien et du photovoltaïque étant nettement inférieur au prix auquel l’achète EDF, on a créé de fait une rente considérable pour les industriels qui fabriquent de l’éolien et peuvent s’offrir des pages entières de publicité dans les journaux. Le plus extraordinaire, c’est qu’ils n’ont même pas eu à intriguer auprès des parlementaires pour obtenir ces avantages. Mais le premier des ministres qui chercherait aujourd’hui à réduire cette manne aurait désormais tous ces lobbies contre lui.
Voici une anecdote. Un individu est devenu l’un des hommes les plus riches de France à partir d’une intuition. Pour faire de l’éolien, il faut la permission du maire. Ce monsieur a convaincu des maires de lui donner l’autorisation. Il a ainsi obtenu un portefeuille de droits à construire des éoliennes. Sa société s’appelait la « Société du vent », ça ne s’invente pas ! Il a vendu la moitié de ses parts pour 300 millions d’euros. On s’indigne quand un PDG gagne deux millions et voici un individu qui, grâce à des mesures inspirées par des écologistes, fait 150 fois mieux. On a peine à le croire, mais je vous assure que c’est vrai.
De plus, certaines régions subventionnent l’installation de l’éolien et du photovoltaïque. On est donc dans un système qui engendre une hausse du coût de l’électricité. C’est une sorte d’impôt payé par les consommateurs d’électricité, un impôt régressif car plus important en pourcentage chez les pauvres que chez les riches. C’est une taxe sur les pauvres qui sert à produire de l’électricité éolienne et photovoltaïque dont la France n’a pas véritablement besoin pour la raison qu’elle produit déjà de l’électricité qui, à 90%, n’est pas émettrice de CO2.
L’éolien — outre un problème esthétique visuel que je ne discute pas en tant qu’économiste — et le photovoltaïque présentent un autre inconvénient majeur : l’irrégularité du vent et du soleil. On compte environ 2000 heures de vent par an et 1000 heures de soleil par an sur un total de 8760 heures. Le soleil brille surtout l’été quand on a moins besoin d’électricité. Aux pointes de consommation hivernales, on ne peut pas compter sur le photovoltaïque. Or on ne stocke pas l’électricité. EDF doit produire de l’électricité quand vous appuyez sur votre interrupteur ou allumez vos appareils électriques. Il faut donc prévoir ce qui va se passer pour faire face à ces pointes de consommation en hiver, quand les éoliennes et le photovoltaïque cessent de fonctionner. EDF doit fournir immédiatement de l’électricité. Il ne peut le faire qu’en produisant de l’électricité thermique – qui rejette du CO2. Autrement dit : plus on installe d’éoliennes et du photovoltaïque, plus on est obligé de produire de l’électricité à partir des centrales thermiques pour faire face aux carences du vent et du soleil. On a donc affaire à une politique coûteuse, socialement injuste et qui contribue à augmenter, pas à économiser, les rejets de CO2.

Débat
Existe-t-il de vraies bonnes idées écologistes ?

  • Q : Vous avez parlé des fausses bonnes idées, mais n’existe-t-il pas de vraies bonnes idées comme par exemple l’isolation des maisons ?
  • Rémy Prud’homme : Je crois que les idées simples sont rarement de bonnes idées. Ce sont des domaines complexes. Il faut analyser cas par cas pour ne pas faire trop d’erreurs. C’est difficile, ce n’est pas glorieux, ça ne se vend pas politiquement. Il faut une base scientifique, des instances, des administrations capables de traduire les données scientifiques en mesures pratiques et des politiques prêtes à les mettre en œuvre.
    Pour l’isolation des maisons, c’est une question de degré. Il existe des travaux d’isolation intéressants pour ceux qui les font et intéressants pour la collectivité. Les premiers travaux d’isolation ne coûtent pas très cher. Mais si les normes deviennent excessives, on risque d’engager des dépenses totalement injustifiées. L’essentiel du Grenelle de l’environnement porte sur des dépenses d’isolation : 400 milliards sur une douzaine d’années. Qu’est-ce qui est justifié et qu’est-ce qui ne l’est pas ? Je n’arrive pas encore à le savoir. Je cherche des analyses, je n’en ai pas encore trouvé. Il faudrait pouvoir déterminer ce qu’il faut faire et ce qu’il faudrait ne pas faire. Évidemment Saint-Gobain a un point de vue différent sur ce thème.
  • Q : Vous avez donné des exemples qui montrent une avancée inexorable des thèses écologistes, mais dans le cas des biocarburants n’a-t-on pas été amené à reconsidérer la question ?
  • Rémy Prud’homme : Les biocarburants avaient été poussés par les écologistes dans de nombreux pays. En France, les betteraviers et les lobbies d’agriculteurs y étaient très favorables. On s’aperçoit maintenant que les biocarburants ne sont pas sans inconvénients. Ils rejettent non seulement du CO2 mais aussi des polluants. Il faut de plus les subventionner dans tous les pays. C’est devenu si gros que l’on commence à s’en apercevoir. Dans les pays où l’on en a produit beaucoup, notamment au Brésil et aux États-Unis, la production agricole alimentaire a été réduite. La hausse du prix du maïs au Mexique a été engendrée par un accroissement du maïs américain transformé en alcool. Les biocarburants de la première génération (betteraves, maïs) se sont faits au détriment de la nourriture. On peut donc y voir une autre fausse bonne idée écologique.
    Mais le dernier mot n’est pas dit. On est actuellement en train de réfléchir à une nouvelle génération de biocarburants à partir de plantes que l’on peut faire pousser rapidement et qui ne sont pas comestibles. On envisage aussi des algues. Si le problème du CO2 prête à divergences chez les scientifiques, il est certain que les carburants fossiles vont s’épuiser. Tout le monde recherche donc des carburants liquides de substitution et il n’est pas impossible que l’on trouve quelque chose d’intéressant du côté des biocarburants.
  • Q : Il faudrait réfléchir également au gaspillage. J’ai été témoin d’une scène révélatrice. Une dame qui achète un micro-onde dit au vendeur : « Il ira bien jusqu’à la fin de ma vie, l’autre je l’ai eu pendant vingt an. » Et le vendeur de lui répondre : « Mais madame maintenant ils sont faits pour durer sept ans ! » C’est bien de faire des produits qui consomment moins d’énergie, mais s’il faut en acheter trois en vingt ans où est le progrès ?
  • Rémy Prud’homme : C’est une question importante et qui fait appel à une idée très répandue. Mais le problème, en réalité, n’est pas si simple. Il n’est pas vrai que la durée de vie de tous les objets se réduise. Par ailleurs, il n’est pas non plus certain qu’il vaut mieux avoir des produits qui durent quinze ans et qui ne changent pas plutôt que des produits qui changent et qui s’améliorent. La pollution de l’air par l’automobile a diminué dans des proportions considérables. Mieux vaut avoir des voitures propres, ce qui justifie les primes à la casse qui ne sont pas mauvaises du point de vue de l’environnement. Le progrès technique peut rendre intéressant de renouveler un objet pour gagner en efficacité énergétique. Vaut-il mieux garder l’ancien produit gaspilleur ou acquérir le nouveau ? Je n’aime pas trop qu’on parle de gaspillage sans examiner où il se situe. Ce n’est pas un concept passe-partout, aussi facile à manipuler que ce que vous supposez.

Faut-il changer notre mode de développement ?

  • Q : Dans votre analyse, vous mettez en rapport les rejets de CO2 et le PIB des différents pays, ce qui permet de mettre en valeur les différences importantes entre les pays développés et les autres, de souligner une valeur moindre de rejet par PIB pour les pays développés. Mais si on met en rapport le volume de CO2 rejeté et le nombre d’habitants des différents pays, l’appréciation s’inverse : chaque habitant d’un pays développé produit plus de CO2 qu’un habitant d’un pays en voie de développement. N’est-il pas plus juste de raisonner de cette façon ?
  • Rémy Prud’homme : C’est une très bonne question et c’est un point très délicat. Si on regarde par habitant, on a en effet un tableau très différent de celui que j’ai présenté. Mais peut-on raisonnablement dire qu’il serait souhaitable que nous envisagions de diminuer notre niveau de vie ? Il n’y a que deux façons pour un pays de réduire le CO2 : ou bien vous diminuez le CO2 par euro de production ou bien vous diminuez la production. Diminuer la production, c’est la décroissance. Certains écologistes conséquents – qui méritent du respect car ils sont cohérents avec eux-mêmes – prônent la décroissance. C’est d’ailleurs ce qui nous arrive cette année et je n’ai pas l’impression que les gens en soient très contents. Comme les salaires constituent 75% du PIB, prôner la décroissance, c’est prôner une diminution des salaires. Si on avait le niveau de vie du Niger, on rejetterait beaucoup moins de CO2. Est-il raisonnable de dire que la solution est d’empêcher les gens d’augmenter leur niveau de vie ? Redistribuer de l’argent aux pays en développement est à considérer, c’est vrai. Mais si on veut atteindre les niveaux de réduction présentés comme indispensables, même aux coûts les plus faibles possible, cela va coûter terriblement cher au niveau mondial. Nicolas Stern, économiste anglais [5], explique que si l’on ne fait rien, le coût des dommages engendrés par le réchauffement climatique va atteindre jusqu’à 5% du PIB du monde. Si on fait quelque chose, cela va nous coûter 2% du PIB du monde. Tout le monde en conclut qu’il faut faire quelque chose. Mais il faut préciser que son 2% correspond à une réduction du CO2, là où il est moins cher de le réduire. Si on devait le réduire uniquement dans les pays développés, cela coûterait plus que les 5% dus aux dommages que l’on va éviter.
    Socialement et politiquement on ne le fera pas. Qu’il faille payer pour que cela se fasse en Inde et en Chine, c’est probablement nécessaire. Mais il vaut mieux payer pour que ce soit utile. Il vaut mieux offrir des centrales nucléaires à l’Inde, plutôt que de se tirer dans les jambes et de se mettre à payer des sommes extravagantes en France.
  • Q : Le réchauffement de la banquise et les modifications climatiques méritent une réflexion globale au-delà des « fausses bonnes idées ». La réflexion écologique doit-elle se restreindre à une réflexion d’économiste ? Ne faut-il pas remettre en cause notre modèle de développement ?
  • Rémy Prud’homme : Si vous voulez dire que moins on consomme d’énergie, mieux on se porte, c’est incontestable et c’est ce qui se passe. L’efficacité énergétique dont je parle s’est beaucoup améliorée en France au cours des trente dernières années. Par rapport au PIB, on constate que l’on consomme bien moins qu’autrefois avec un glissement de l’agriculture vers l’industrie, puis vers les services qui ne sont pas très consommateurs de matières premières et d’énergie. Ce que vous appelez le changement de mode de vie, certains rêvent de l’imposer par la force, par la loi, par la règle, comme les écologistes de la capitale qui ont officiellement proposé au conseil municipal de Paris de réduire les rations de viande dans les cantines scolaires contrôlées par la ville, au motif que les vaches rejettent du méthane. Ne riez pas, c’est très sérieux. Cette proposition a été rejetée, mais cette proposition était parfaitement cohérente. Nous consommons déjà moins d’énergie. Il n’est pas nécessaire qu’on nous impose des modes de vie interdisant les déplacements et nous obligeant à vivre à tel endroit, à manger ceci ou à nous habiller de telle façon. Dans tous les pays du monde, on gaspille moins d’énergie qu’il y a trente ans par rapport au PIB. Sauf en Chine, car ils se sont industrialisés et fabriquent toutes les chemises que nous portons.

Quelles actions possibles à l’échelle mondiale ?

  • Q : Pour légitimer la taxe carbone, on a mis en avant l’argument de l’exemplarité dont la France devrait faire preuve dans ce domaine. Que pensez-vous de cet argument ? Quelle est son efficacité réelle ?
  • Rémy Prud’homme : À supposer qu’il faille prendre au sérieux tout ce qui est dit sur le CO2, ce qui est loin d’être une certitude, il faut en effet examiner cet argument de l’exemplarité. On reconnaît en effet que les principaux gisements d’économie de CO2 ne sont pas chez nous, mais cependant il nous faut montrer l’exemple car le reste du monde va suivre. C’est très sympathique, mais cela témoigne d’une confiance dans la nature humaine que l’étude objective de l’histoire ne suggère pas vraiment. Je réponds très simplement : l’exemplarité nous la montrons déjà depuis de nombreuses années. Nous sommes le pays le plus efficace du monde, après la Suède. Est-ce que cela suffit pour que les Chinois, les Russe, les Américains, les Brésiliens… nous suivent ? Nous taxons nos carburants à 150%, tandis que la Chine les subventionne à hauteur de 10 % (moins depuis quelques mois) et l’Inde à hauteur de 20%. Qui peut croire, si nous passons de 150% à 170%, que la Chine va doubler du jour au lendemain le prix de son essence ?
    L’argument de l’exemplarité peut même jouer en sens inverse. Les autres pays, estimant qu’une politique de réduction des émissions de CO2 coûte vraiment très cher, prennent argument de leur pauvreté pour ne rien faire. De plus, à mettre la barre trop haut, on incite un certain nombre d’entreprises à aller produire en dehors de la France, en Chine ou en Inde même. Outre la suppression d’emplois en France (même si cela fait des heureux par la création d’emplois ailleurs), la production se fera avec une efficacité énergétique moindre et donnera lieu à davantage de rejets de CO2. L’argument de l’exemplarité n’a donc pas une grande force.
  • Q : Quel est l’état de la réflexion mondiale ?
  • Rémy Prud’homme : La conférence de Copenhague qui aura lieu du 7 au 18 décembre 2009 est supposée faire l’état de la réflexion au niveau mondial. Mais les problèmes complexes à résoudre ne vont pas forcément déboucher sur un accord. Les États-Unis étaient jusqu’ici très réticents pour engager des dépenses [6], et sur certains points ils n’ont pas forcément tort, mais surtout les pays émergents ont l’efficacité énergétique la plus faible, alors qu’ils ont le développement le plus rapide et les rejets de CO2 les plus importants. La Chine est le pays qui rejette le plus de CO2 au monde [7]. Plus que les États-Unis. Quand on demande à ces pays de freiner les rejets de CO2, ils ont un argument imparable : « Les pays industrialisés ont rejeté du CO2 pendant les deux siècles passés et ils voudraient maintenant que l’on se prive et que l’on supporte une réduction de CO2 au détriment de notre économie. Ce qui est injuste ». Que répondre, si ce n’est qu’ils ont raison. Ils ont un autre bon argument : « Nous sommes beaucoup plus pauvres que vous et 100 euros supplémentaires sont bien plus difficiles à supporter que pour vous. » La conclusion à en tirer n’est pas qu’il faut les laisser continuer à rejeter beaucoup de CO2, pendant que nous dépensons des sommes extravagantes. Ils peuvent réduire leur production de CO2 à un coût faible. Avec les mêmes 100 euros, ils peuvent réduire leurs rejets dix fois plus que nous. La solution est la recherche d’une obligation de réduction par les grands pays émergents assortis de versements massifs par les pays industrialisés. C’est plus facile à dire qu’à faire, mais c’est dans cette direction qu’il faut regarder.
  • Q : On ne parle maintenant que du réchauffement climatique. Pourquoi ne parle-t-on plus du trou dans la couche d’ozone ?
  • Rémy Prud’homme : Parce que le problème a été réglé, ce qui était relativement simple. Les chlorofluorocarbones contenus dans les vaporisateurs en étaient la cause principale. On a réuni à Montréal les vingt-cinq producteurs mondiaux de fréon, on les a enfermés dans une salle et ils n’en sont sortis que lorsqu’ils étaient d’accord pour les éliminer. Tous étaient d’accord individuellement, à condition que les autres le fassent aussi. Cet accord a été respecté. Le trou de la couche d’ozone n’a pas complètement disparu, il réapparaît de temps en temps, mais le problème a été largement éliminé. C’est l’un des rares cas où un vrai problème a été identifié et traité. Les politiques ont obligé les industriels à se réunir et à coopérer. C’est malheureusement l’un des rares exemples d’une entente mondiale sur une stratégie et sur sa mise en œuvre. On en souhaiterait d’autres.

Quel débat démocratique et rationnel sur les problèmes écologiques ?

  • Q : Toutes ces fausses bonnes idées semblent fleurir sur un terrain d’inculture scientifique globale du système médiatique. Comment s’y retrouver dans une multitude d’informations sur le réchauffement climatique, informations qui se réfèrent souvent à une autorité scientifique qui paraît incontestable ?
  • Rémy Prud’homme : Concernant le réchauffement climatique, je ne suis pas un climatologue et je ne suis pas sûr de pouvoir dire grand-chose de sérieux. Mais quand j’écoute certains scientifiques, la question est loin d’être aussi bien établie que ce que nous répètent beaucoup de gens tous les jours. Il n’existe pas de consensus scientifique. Des savants de très grand renom et de très grande autorité sont persuadés que le réchauffement n’est pas dû à l’activité anthropique et au CO2. Par exemple, Vincent Courtillot, géophysicien de renommée internationale, membre de l’Académie des sciences, accumule des chiffres récents pour montrer combien les affirmations du GIEC [8]sont discutables et reposent sur une prise de contrôle médiatique par cette instance. Ce groupe se compose de gens nommés par les gouvernements et politisés et il n’est même pas dirigé par des scientifiques de haut niveau. J’ai regardé quel est le background des principaux personnages des Nations-Unies sur ce thème. On trouve un Hollandais, Yvo de Beer, qui est le grand organisateur de la conférence de Copenhague ; c’est un fils de diplomate qui a fait des études de technicien social, mais aucune étude scientifique. Il a été bureaucrate au ministère du logement au Pays-Bas, puis bureaucrate aux Nations-Unies, et c’est lui qui parle du climat au nom de la science. Moi qui je ne suis pas climatologue, mais j’ai autant de raisons que lui d’avoir des idées sur ce sujet. Vincent Courtillot dit dans une impressionnante conférence [9], avec beaucoup de modestie et chiffres à l’appui, que le GIEC n’a pas l’autorité scientifique qu’on lui donne. Pour le moins, il y a un grand doute. On ne peut pas considérer les causes du réchauffement climatique comme un affaire établie. Il faut faire preuve de prudence.
  • Q : Concernant l’énergie nucléaire, plutôt que de parler de haine du nucléaire, ne vaudrait-il pas mieux parler de marché de la peur du nucléaire qui est d’ailleurs en train de céder sa place au marché de la peur du réchauffement climatique ?
  • Rémy Prud’homme : La haine n’est pas antinomique de la peur. La peur peut engendrer la haine, c’est assez fréquent. Je ne crois pas que la peur du réchauffement climatique se soit substituée à la haine ou à la peur du nucléaire. Tous les écologistes sont très violemment opposés au nucléaire. Certains commencent à vaciller, mais de nombreuses mesures prises jouent contre le nucléaire. Les mesures contre le chauffage électrique sont directement inspirées par les antinucléaires. C’est paradoxal, car le nucléaire est précisément la forme d’énergie qui rejette le moins de CO2, avec bien sûr l’hydraulique, l’éolien et le photovoltaïque. Avec la loi du Grenelle de l’environnement, les normes définies sont inatteignables et on a pratiquement interdit le chauffage électrique dans les maisons neuves [10]. Par haine du nucléaire, on pousse les Français vers le gaz. On augmente ainsi la dépendance énergétique de la France à l’égard notamment de la Russie de Poutine et la Libye de Kadhafi. On doit payer en devises et le gaz rejette du CO2 à la différence du nucléaire. Cette interdiction de l’électricité va engendrer des rejets supplémentaires de CO2.
  • Q : Les idées écologistes ont actuellement le vent en poupe et les idées scientifiques nuancées ont du mal à se faire entendre. Quel est votre diagnostic sur la difficulté dans notre société de débattre clairement de ces questions ?
  • Rémy Prud’homme : Les sociologues sont mieux placés que moi pour en parler. J’ai vu dans mon existence le pouvoir passer de ceux que l’on appelait les technocrates — comme les ingénieurs des Ponts et Chaussée qui façonnaient le territoire français et qui ont fait se dresser une levée de bouclier de la part des intellectuels dans les années 70 — aux politiques, aux « élus ». Nous en sommes là actuellement. Ce pouvoir des élus auraient pu très bien conduire un jeune homme de 22 ans à la tête de l’Epad [11]… Mais on voit de plus en plus se répandre une contestation du pouvoir des élus pour y substituer le citoyen, la démocratie participative, les associations, les ONG… On glisse vers un « pouvoir direct des citoyens ». Je vois bien le gain que l’on a eu à avoir un peu moins de technocrates et un peu plus de politiques, mais je vois aussi ce qu’on a perdu à avoir des politiques incompétents qui prennent des décisions lourdes de conséquences. Je vois le gain que l’on peut avoir à enlever du pouvoir à certains élus pour en donner davantage à des associations ou à des gens auto-désignés, mais j’en vois aussi les inconvénients et les risques. Il faudrait un meilleur équilibre entre la connaissance scientifique, la légitimité démocratique, l’implication associative et individuelle. Je respecte ces trois niveaux et je suis opposé à ce que le pouvoir aille en totalité à l’un d’entre eux.

(*) Cette lettre rend compte d’un mardi de Politique Autrement qui s’est tenu le 13 octobre 2009, avec Rémy Prud’homme, professeur d’économie, ancien directeur-adjoint de la direction de l’environnement de l’OCDE, dernier article paru : « Dioxyde de carbone : raison garder », Commentaire, n° 125, printemps 2009.

Notes
[1] Dans la loi adoptée le 23 juillet 2009, « l’État se fixe comme objectifs que toutes les constructions neuves faisant l’objet d’une demande de permis de construire déposée à compter de la fin 2012 (…) présentent une consommation d’énergie primaire inférieure à un seuil de 50 kilowattheures par mètre carré et par an en moyenne ». Or, la réglementation thermique actuelle, dite RT 2005, fixe des seuils maximaux de 80 à 130 kilowattheures, voire 130 à 250 kilowattheures en cas de chauffage électrique. Le chauffage électrique classique semble donc condamné par ce nouveau seuil qui laisse peu de marge pour d’autres usages, comme l’eau chaude et l’électroménager.

[2] Au 20 octobre 2009 en Suède le SP 95 était en moyenne à 1,17 et en France à 1,25.

[3] Eurostat est chargé de l’information statistique à l’échelle communautaire. Il a pour rôle de produire les statistiques officielles de l’Union européenne, en collectant et en harmonisant les données publiées par les instituts nationaux de statistiques.

[4] Arrive maintenant une nouvelle génération, les ampoules à led qui consommeront encore 2 à 3 fois moins que les ampoules à basse consommation.

[5] Le rapport Stern sur l’économie du changement climatique est un compte-rendu sur l’effet du changement climatique et du réchauffement global sur la planète, rédigé pour le gouvernement du Royaume-Uni et publié le 30 octobre 2006.

[6] La conférence de Kyoto sur le réchauffement climatique date de décembre 1997.

[7] Le CO2 s’accumule dans l’atmosphère avec une durée de vie de 200 ans. Le stock actuel est le résultat de 200 ans d’activités diverses.

[8] Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.

[9] Conférence à l’Université de Strasbourg le 15 septembre 2009 Vidéo sur Dailymotion :
http://www.dailymotion.com/video/xanv0e_rechauffement-climatique-les-erreur_tech

[10] Cf. La loi adoptée le 23 juillet 2009, voir note 1.

[11] EPAD : Établissement public pour l’aménagement de la région de la Défense