La politique du pire est désormais en œuvre dans le conflit israélo-palestinien. À la vague d’attentats suicides contre l’armée et les civils israéliens qui sèment la terreur au sein de la population a répondu la politique de force menée par le gouvernement d’Ariel Sharon vis-à-vis de l’Autorité et de la population palestiniennes, entraînant un spectacle de désolation. Si l’État israélien ne pouvait rester sans rien faire après la série d’attentats, la réponse choisie par le gouvernement de Sharon est la pire : l’humiliation de tout un peuple qui ne peut qu’engendrer et développer la haine. Loin de combattre le terrorisme, cette politique lui fournit un nouveau terreau, renforce tous les extrémismes.
Dans une telle situation, les camps se ressoudent, les mythologies et les idéologies reprennent le dessus ; les modérés sont pris pour des traîtres. En guise d’engagement, un schématisme militant ancien refait surface qui somme chacun d’épouser une cause en bloc, en mélangeant tous les plans, en faisant fi de tout recul réflexif et critique. L’histoire donne l’impression de tourner à l’envers, de faire comme si les changements opérés dans les deux camps et les avancées politiques n’avaient été qu’une parenthèse, comme si le conflit israélo-palestinien et les extrémistes pouvaient « repartir » comme avant.

L’éthique n’appartient pas à un camp

La fin ne saurait justifier les moyens et l’éthique n’appartient pas en propre à un camp. S’inspirant du discours de Bush sur « l’axe du mal », Ariel Sharon prétend donner des leçons de morale contre le terrorisme au monde entier, alors que les pratiques de l’armée israélienne sèment et entretiennent la haine. La destruction des symboles de l’Autorité palestinienne, les représailles collectives, les arrestations massives, le bombardement du camp de Jénine, l’interdiction de secourir les blessés et le blocage de toute intervention humanitaire… ne relèvent pas de la « légitime défense », mais d’une politique de force qui met à genoux tout un peuple, s’attaque à sa dignité et l’accule au désespoir. À Ramallah, l’armée israélienne a détruit les infrastructures politiques, culturelles et sociales construites par l’Autorité palestinienne, comme si elle voulait nier symboliquement le droit du peuple palestinien à disposer librement de lui-même. Les traumatismes causés aux familles par la destruction d’habitation, la fouille des maisons, les arrestations massives et le comportement de nombre de soldats israéliens ne sont pas près de s’éteindre. Israël ne s’en sortira pas indemne : son image aux yeux de nombre d’Israéliens et des peuples du monde est moralement et durablement atteinte.
Mais l’indignation devant les agissements de l’armée israélienne ne peut faire oublier les attentats suicides contre les bus, les boutiques de jouets, les restaurants… qu’aucune cause ne saurait justifier. On ne saurait concéder un blanc-seing à l’Autorité palestinienne sous prétexte de l’agression et de l’occupation israélienne. L’attentat de Netanya (23 morts dans un restaurant) revendiqué par le Hamas lors d’une des fêtes les plus significatives du peuple juif, est intervenu au moment où l’émissaire américain Anthony Zinni tentait d’obtenir un cessez-le-feu et au moment du sommet arabe de Beyrouth qui a entériné le plan de paix saoudien. Cet attentat fait suite à une longue liste qui a ensanglanté le pays, créé un climat de terreur et de suspicion généralisée en Israël. Ces attentats suicides n’ont pas été perpétués seulement par le Hamas, mais par des groupes tels que les Brigades des martyrs d’Al Asqsa qui sont liés au Fatha de Yasser Arafat. 
Le terrorisme suicidaire palestinien contre les populations civiles n’est pas assimilable à celui de Ben Laden, dans la mesure où il se veut encore lié à la lutte nationale d’un peuple. Il trouve un terrain dans l’occupation israélienne et la politique de force menée par le gouvernement Sharon qui accule les palestiniens au désespoir et renforce, tout particulièrement au sein de la jeunesse, les rangs de ceux qui sont prêts à « mourir en martyr ». Mais ces éléments ne suffisent pas à l’expliquer et ne sauraient en aucun cas le justifier. Des raisonnements qu’on aurait pu croire disparus peuvent à cette occasion refaire surface : le terrorisme aveugle serait l’ultime recours des peuples opprimés. Comme si en l’affaire, on pouvait se livrer à un savant calcul éthique dans le domaine de la terreur.
Il faut s’interroger sur le nouveau phénomène que constituent ces attentats suicides. Un des chefs du Hamas a déclaré au Washington Post : « Les juifs aiment la vie plus qu’aucun autre peuple, et ils préfèrent ne pas mourir. Ainsi les bombes humaines palestiniennes sont l’arme idéale pour les user ». [1]. Le terrorisme n’est pas simplement une « réponse inadéquate » à une situation qui suffirait à en rendre raison. Il introduit dans le conflit un culte de la mort et du martyr qui constitue un défi pour la raison, fait basculer la lutte dans un désespoir qui annihile la dimension politique en bouchant l’horizon du possible. « La société israélienne est devenue de plus en plus violente, agressive et raciste, et de moins en moins démocratique, écrit David Grossman, écrivain israélien. La société palestinienne suit un processus encore plus dangereux : une société qui s’habitue à envoyer ses jeunes au suicide destinés à tuer des innocents, une société qui encourage de tels actes et s’en enorgueillit, paiera un lourd prix à l’avenir » [2]. Les attentats terroristes contre les populations civiles ne sont pas seulement indéfendables sur le plan de la morale, ils réactivent l’extrémisme et le racisme anti-arabe au sein de la société israélienne et font leur jeu. Mais on ne saurait simplement incriminer le développement du terrorisme pour expliquer l’impasse.

La rupture et la montée des extrémismes

En juillet 2000, les négociations menées à camp David entre Clinton, Arafat et Barak, alors premier ministre israélien, aboutissent à de nouvelles propositions de paix : Barak se déclare prêt à céder 95% des territoires et procéder au démantèlement d’une partie des colonies, la question du statut de Jérusalem et des réfugiés restant en suspens.
À la conférence de Taba, en janvier 2001, Barak fait une ouverture sur la question de Jérusalem, laissant entendre un partage possible, mais c’est sur la question du « droit au retour » que les négociations butent. Les Palestiniens considèrent le retour sur la terre d’origine comme un droit légitime, entendant ainsi faire reconnaître la responsabilité de l’État d’Israël dans l’injustice qui leur a été faite. Pour les Israéliens, ce « droit au retour » ne paraît guère envisageable comme tel. Il signifie pour eux la négation de l’existence même de leur État fondé à l’origine, en 1948, sur un transfert de population et une restitution des biens spoliés.
L’offre de Barak, qui comporte des points d’avancée importants, n’est pas saisie par Yasser Arafat qui met en avant le problème des réfugiés et la question de Jérusalem. Du côté palestinien, les atermoiements de la politique israélienne, les incohérences de Barak et le développement des colonies (il s’est créé trois fois plus de logements sous le gouvernement Barak que sous celui de Netanyahou) ont développé l’exacerbation de la population. 
La reprise de l’Intifada va déboucher sur des affrontements armés. En 2000, avant même son élection, Ariel Sharon, en visitant l’esplanade des Mosquées, provoque les Palestiniens et l’armée israélienne tire sur la foule qui manifeste. Après son arrivée au pouvoir en février 2001, Ariel Sharon a de fait accepté de négocier avec l’Autorité palestinienne mais à ses propres conditions. Désignant immédiatement Yasser Arafat comme le responsable des attentats, il lui a réitéré les appels à combattre le terrorisme tout en le privant en même temps des moyens de le faire. Les attentats perpétrés par le Hamas ont à chaque fois entraîné des représailles contre l’Autorité palestinienne, ses institutions et les services de sécurité chargés précisément de réprimer les auteurs de ces attentats.
Suite aux affrontements armés et aux attentats, Ariel Sharon donne l’ordre à l’armée israélienne de pénétrer dans les zones régies par l’Autorité palestinienne, de détruire ses symboles et ses institutions, remettant ainsi en cause les acquis antérieurs de la négociation. Ariel Sharon saisit l’occasion de l’attentat de Netanya non seulement pour tenter de « démanteler les infrastructures terroristes » mais pour déclarer la guerre à Yasser Arafat, considéré désormais comme un « ennemi d’Israël » et mettre hors-jeu l’Autorité palestinienne. Cette politique menée par le gouvernement Sharon renforce l’extrémisme dans le camp palestinien. Les partisans de la lutte armée, encouragés par la Syrie ou l’Irak se sont de nouveau fait entendre. Dans cette escalade, la question de la responsabilité de Yasser Arafat est posée dans la mesure où il a pu jouer sur plusieurs plans à la fois : le discours de la négociation et l’affrontement armé, le laisser-faire dans une situation de plus en plus confuse et immaîtrisable, favorable à la montée de tous les extrémismes. Ce basculement intervient après des années de négociation entamées par les accords d’Oslo qui ont abouti à l’impasse.

La fin des accords d’Oslo

Signés en 1993, ces accords ont abouti à une reconnaissance mutuelle entre deux peuples qui antérieurement s’ignoraient et se combattaient : les Palestiniens reconnaissent le droit de l’État d’Israël à vivre en paix et en sécurité ; l’État israélien reconnaît l’OLP comme « représentant légitime du peuple palestinien ». Les accords d’Oslo engagent un processus de négociation par étapes entre Israël et l’OLP devant conduire à la rétrocession progressive des territoires occupés par Israël depuis 1967, tandis que l’Autorité palestinienne doit être investie de pouvoir d’administration dans les territoires devenus autonomes.
Dans ces accords, l’OLP reconnaît l’État d’Israël, mais l’existence d’un État palestinien n’est pas mentionnée. Une série d’accords successifs est supposée amener les deux parties vers un règlement définitif sans que soit clairement défini au départ le contenu de ce règlement. Les accords d’Oslo prévoient que le statut définitif des territoires palestiniens sera établi au terme d’une période de cinq ans (c’est-à-dire en mai 1999). Israël a en outre tout fait pour que ne soit pas mentionné l’arrêt de la colonisation et l’a obtenu. Cette approche par étapes liée directement à la négociation entre les deux partenaires laisse de côté des sujets épineux comme le statut de Jérusalem, le statut des réfugiés et la question des frontières définitives de l’État palestinien.
L’idée selon laquelle une entente durable peut émerger d’une négociation directe entre Israéliens et Palestiniens et la méthode de pas à pas qui l’accompagne a vite rencontré ses limites. Profitant du rapport de force, Israël s’est de fait érigé comme juge et partie de l’avancée du processus. Il a centré sa perspective sur la question de la sécurité tandis qu’il reportait à plus tard les discussions sur le futur État palestinien, les colonies de peuplement et le statut de Jérusalem. Les territoires palestiniens ont été répartis en trois zones : la zone A sous l’autorité administrative et sécuritaire palestinienne, la zone B sous l’autorité administrative palestinienne, la sécurité demeurant israélienne, la zone C sous le contrôle d’Israël. En plus de huit ans de négociation, seulement 40% de la Cisjordanie et de Gaza sont passés en zones A et B, tandis que l’implantation des colonies a continué et que la question de la création d’un État palestinien a été sans cesse reportée. C’est l’idée même de négociation avec ce qu’elle implique de compromis qui s’est trouvée mise en question.
Les Palestiniens ont eu le sentiment que dix années de négociation avec Israël n’aboutissaient qu’à des tergiversations, qu’Israël ne s’engageait pas clairement dans la reconnaissance d’un État palestinien, tandis qu’il continuait l’extension des colonies, la diplomatie et les pressions internationales se montrant impuissantes pour s’y opposer. Cette situation a entraîné une profonde déception du côté palestinien, un doute légitime sur la volonté israélienne d’accepter une terre et un État palestiniens : « Les Palestiniens attendent une paix qu’ils ne voient jamais venir et c’est toujours à eux de prouver qu’ils sont mûrs, qu’ils ont accompli toutes les démarches possibles, qu’ils ont jugulé tout acte de terrorisme. […] Il faut s’interroger sur l’aptitude d’Arafat à négocier la paix mais aussi sur la nature de paix qui est proposée aux Palestiniens ». [3] L’approche exclusivement sécuritaire du problème palestinien aboutit à reporter à l’infini la création d’un État palestinien aux frontières clairement définies, « l’espace géopolitique palestinien apparaît comme un projet “appendiciel”, en accordéon, modulable au gré de la sécurité d’Israël ». [4
Cette politique a créé un terrain favorable à la montée des groupes extrémistes du Hamas et du Jihad islamique qui, dès le début, se sont opposés aux accords d’Oslo, ont maintenu l’option de la lutte armée avec le soutien de pays arabes comme la Syrie. Ces groupes ont pu bénéficier d’un courant de soutien et de sympathie au sein d’une population palestinienne déçue, constatant l’enlisement du processus de négociation, le développement des colonies et l’impuissance internationale.

Retour en arrière ?

Pour les deux camps façonnés par la guerre, le processus de paix a pu constituer une épreuve ouvrant des interrogations nouvelles sur leur identité et leur histoire respectives, interrogations qui marquent une rupture avec les interprétations idéologiques et militantes.
Pour l’OLP, qui antérieurement refusait de reconnaître le droit à l’existence de l’État d’Israël et avait pour objectif sa destruction, la reconnaissance explicite de ce droit en 1988 marque un tournant important. Cette reconnaissance et l’engagement dans une négociation sont venus interpeller une identité militante à forte charge symbolique, centrée autour de la lutte armée de libération. En même temps, les divisions et les faiblesses internes au mouvement palestinien sont plus clairement apparues. Dans les années soixante et soixante-dix, la mobilisation autour du thème de la libération par la lutte armée pouvait masquer ces divisions et ces faiblesses. Au sein même de l’Autorité palestinienne, le passage d’une organisation de résistance à celle d’une administration de type étatique a révélé les rivalités claniques et organisationnelles, les difficultés à mettre en œuvre un fonctionnement démocratique et des phénomènes de corruption. 
Dans le même temps, le mouvement palestinien s’est trouvé confronté à la montée des mouvements islamistes. L’identité de l’OLP s’est construite à l’origine autour d’une référence nationaliste laïque se réclamant à la fois du nationalisme arabe et de l’internationalisme révolutionnaire. La crise et l’épuisement du modèle anti-impérialiste et internationaliste des années soixante et soixante-dix, la corruption des élites des mouvements traditionnels ont favorisé le développement des groupes islamistes. Ceux-ci entendent disputer le leadership de la représentation du mouvement palestinien à l’OLP de Yasser Arafat en se voulant les porte-paroles des plus déshérités et les défenseurs les plus fidèles et radicaux de la cause palestinienne. L’Autorité palestinienne a du faire face à cette situation sans parvenir à une position unifiée et claire.
Au sein de la société israélienne, le processus de paix a produit des effets parallèles. Depuis son origine, l’histoire de l’État d’Israël est liée à la guerre et la mobilisation sécuritaire face à des ennemis qui entendaient détruire cet État. Ces éléments constituent un puissant ciment d’unité nationale. Les perspectives de paix ont eu pour effet un relâchement de la mobilisation sécuritaire et la société israélienne s’est trouvée plus directement confrontée à ses propres évolutions et contradictions internes. Israël n’échappe pas en effet aux évolutions des sociétés modernes : le développement de l’individualisme, les valeurs de l’épanouissement et de la réussite individuelle remettent en cause les références collectives d’origine, les valeurs de sacrifice et de solidarité. Des clivages sont apparus au grand jour qui manifestent la fragilité interne de cette société : exacerbation des conflits entre le camp laïque et religieux, entre les citoyens d’origine Arabe et les autres, développement des inégalités économiques et sociales recoupant des clivages d’origine ethnique et culturelle [5]… Les hommes politiques israéliens se trouvent confrontés à ces nouveaux défis qu’ils ne peuvent évacuer.
Mais la nouvelle Intifada et la vague des attentats terroristes en Israël ont de nouveau réveillé le « sentiment du péril » : « Comme toujours, ce sentiment a entraîné les processus bien connus d’identification nationale, de solidarité et de brouillage momentané des fractures idéologiques et sociales ». [6] Au plan interne, Ariel Sharon entend mobiliser le pays en faisant valoir que la « survie » d’Israël est de nouveau en jeu comme aux premiers temps de la création de l’État. Il s’appuie sur les courants ultra-nationalistes, trouvant face à lui une opposition divisée, une gauche israélienne incohérente et sans projet, participant de son gouvernement et incapable de proposer une alternative claire à sa politique.
Pour les extrémismes des deux camps, le processus de paix n’aura été qu’une parenthèse, l’affrontement peut reprendre dans une fuite en avant meurtrière. Cette fuite, ce refus de se confronter au réel peuvent-ils durer bien longtemps ?

Comment sortir de l’impasse ?

Les attentats terroristes et la politique menée par le gouvernement Sharon ont réduit à néant le processus engagé à Oslo. Il ne peut y avoir de solution militaire au conflit israélo-palestinien et le terrorisme ne peut-être déraciné par de simples opérations militaires. Les épreuves que vient de subir le peuple palestinien risquent, au contraire, de relancer un cycle de vengeance meurtrier. Quoi qu’on puisse penser de Yasser Arafat, celui-ci dirige un mouvement qui a renoncé à détruire l’État d’Israël, et il s’est engagé dans un processus de négociation. Qu’on le veuille ou non, c’est un interlocuteur reconnu internationalement.
L’échec du processus engagé par les accords d’Oslo a montré qu’un tel conflit ne peut être résolu qu’en sortant d’un face-à-face, en faisant directement intervenir la communauté internationale. Après avoir laissé faire l’intervention israélienne (en y mettant comme condition la non élimination de Yasser Arafat), Georges Bush soumis aux pressions contradictoires de son entourage a finalement décidé d’intervenir directement. Quoiqu’il en soit du retard accumulé et des intérêts propres aux États-Unis dans cette affaire, leur intervention dans ce conflit est décisive. Une fois de plus la nécessité d’une initiative européenne qui puisse contrebalancer l’hégémonie américaine est posée. Mais force est de constater que si l’Union européenne peut apparaître comme une puissance économique, elle demeure encore faible dans l’abord des grandes questions politiques qui déterminent l’avenir du monde. 
Une conférence internationale associant États-Unis, Europe, Russie et toutes les parties prenantes du conflit (Israéliens, Palestiniens et pays arabes), pourrait prendre en compte le plan de paix saoudien adopté par les participants du sommet de Beyrouth et les avancées faite à la conférence de Taba. Cette perspective pourrait mettre fin à la spirale meurtrière et réouvrir un avenir de paix dans la région. Une paix durable n’implique pas seulement l’arrêt des attentats palestiniens et le repli de l’armée israélienne, mais un règlement global qui mette fin à la politique des implantations israéliennes, amène le retrait d’Israël des territoires occupés et la reconnaissance claire et sans plus tarder d’un État palestinien viable qui ne soit pas une menace pour l’État d’Israël. Dans l’immédiat, le retrait des troupes israéliennes des territoires palestiniens conformément aux résolutions de l’ONU, et la condamnation ferme des attentats terroristes de la part de l’Autorité palestinienne sont la condition minimale pour aller plus loin. Au moment où ce texte est écrit, rien ne paraît, à vrai dire, encore bien clair de part et d’autre sur ces points. Les haines accumulées ne s’éteindront pas de si tôt. Une intervention de la communauté internationale est nécessaire pour séparer les deux belligérant et garantir la paix et la sécurité. Si prompts à réagir quand il s’agit du Koweit ou du Kosovo, les États-Unis et l’Union européenne sauront-ils assumer leurs responsabilités sous l’égide des Nations-Unies quand il s’agit du conflit israélo-palestinien ?

Refuser les amalgames

Les répercussions du conflit israélo-palestinien en France sont révélatrices de l’état de la démocratie et du lien de citoyenneté. Les incendies de synagogues et les agressions contre les citoyens français de religion et de culture juives créent un climat délétère et remettent en mémoire les pages les plus sombres de l’histoire européenne. Elles méritent une condamnation et une répression des plus fermes. Mais on ne saurait pour autant, sous le coup de l’émotion, en référer trop vite à un antisémitisme organisé ou évoquer une nouvelle « nuit de cristal ». Là aussi, les allusions au nazisme et au pétainisme ne permettent pas de comprendre la situation nouvelle. Jusqu’à présent, les attaques contre les synagogues, les agressions verbales et physiques semblent être l’œuvre de jeunes déstructurés des quartiers défavorisés. Ils s’identifient aux Palestiniens dans une logique victimaire, et font des juifs les bouc-émissaires de leur mal-être. Dire cela n’implique aucune complaisance à l’égard de ces jeunes, mais il importe d’identifier le phénomène si on entend le combattre efficacement. La collusion avec des mouvements extrémistes organisés n’est pas à exclure ; la vigilance s’impose sur ce point. Mais il importe de ne pas favoriser les amalgames qui font alimentent tous les extrémismes.
La dénonciation la plus ferme contre le racisme antijuif sous toutes ses formes n’implique pas le soutien à la politique guerrière du gouvernement d’Ariel Sharon. Réciproquement, le soutien au peuple palestinien contre l’agression dont il est victime et à sa lutte pour un État n’implique pas de se taire sur les agressions contre les synagogues et les citoyens, les attentats terroristes contre les civils israéliens qu’aucune cause ne serait justifier. L’immense majorité des Français rejette ces assimilations simplistes et les responsables politiques, associatifs, religieux se doivent de les combattre.
L’expression de l’appartenance culturelle et religieuse est légitime, mais elle ne saurait laisser croire que les « communautés » juives ou arabes sont monolithiques et il ne faudrait pas confondre cette appartenance avec le lien de citoyenneté.
La démocratie implique la reconnaissance de la diversité des points de vue de citoyens qui, sans nier leurs origines et leurs cultures, se sentent partie prenante et responsable d’une même collectivité politique. L’espace public démocratique permet l’expression des différences, des contradictions et des conflits dans le cadre d’un État de droit, sur la base d’une commune appartenance. Les événements récents montrent la fragilité de ces principes qu’il importe de réaffirmer et de faire vivre face à confusion ambiante, en favorisant les initiatives qui permettent aux individus de sortir de leur ghetto, de retrouver le goût de la réflexion, du débat et de l’action commune dans le respect des différences et des contradictions. Il ne s’agit pas seulement de « préserver la paix civile » mais de faire vivre un lien de citoyenneté qui ne réduit pas la démocratie à la « coexistence des différences ». Avec ses modalités et ses moyens propres, Politique Autrement entend bien y contribuer. 
Dans une situation historique marquée par la décomposition de nombre de schémas anciens sans qu’on perçoive encore sur un plan d’ensemble les signes d’un renouveau, l’histoire paraît se bloquer ou faire machine arrière. Le conflit israélo-palestinien en est un exemple dramatique et il n’est pas d’avenir tout tracé. Mais la politique n’est-elle pas l’art de saisir les possibles pour ouvrir de nouveau l’horizon contre les logiques meurtrières et désespérées qui mènent à l’impasse ?

Jean-Pierre Le Goff, président du club Politique Autrement, 
17 avril 2002

Notes

[1] Ismaïl HANIYA, cité par THOMAS L. FRIEDMAN, « Mensonges suicidaires », article publié dans le New York Times et repris dans Le Monde, 3 avril 2002.

[2] David GROSSMAN, « Proche-Orient : retournons à la négociation, sans conditions », Libération, 2 avril 2002.

[3] Daniel LINDENBERG, « Israël et Palestine sous tension », Daniel LINDENBERG et Joseph MAÏLA, Le conflit Israélo-palestinien, Desclée De Brouwer, Paris, 2001.

[4] Joseph MAÏLA, ibid.

[5] Ilan GREILSAMMER, « Clivages et fractures, un état des lieux », Le Débat, n°118, janvier-février 2002.

[6] Ibid.