« On veut s’informer vite, au lieu d’informer bien. La vérité n’y gagne pas.[…] Une chose au moins est évidente, l’information telle qu’elle est fournie aujourd’hui aux journaux, et telle que ceux-ci l’utilisent, ne peut se passer d’un commentaire critique. C’est la formule à laquelle pourrait tendre la presse dans son ensemble.
D’une part, le journaliste peut aider à la compréhension des nouvelles par un ensemble de remarques qui donnent leur portée exacte à des informations dont ni la source ni l’intention ne sont toujours évidentes. Il peut, par exemple, rapprocher dans sa mise en pages des dépêches qui se contredisent et les mettre en doute l’une par l’autre. Il peut éclairer le public sur la probabilité qu’il est convenable d’attacher à telle information, sachant qu’elle émane de telle agence ou de tel bureau à l’étranger. […] Il revient au journaliste, mieux renseigné que le public, de lui présenter, avec le maximum de réserves, des informations dont il connaît bien la précarité. […]
Il est un autre apport du journaliste au public. Il réside dans le commentaire politique et moral de l’actualité. En face des forces désordonnées de l’histoire, dont les informations sont le reflet, il peut être bon de noter, au jour le jour, la réflexion d’un esprit ou les observations communes de plusieurs esprits. Mais cela ne peut pas se faire sans scrupules, sans distance et sans une certaine idée de la relativité. Certes, le goût de la vérité n’empêche pas la prise de parti. Et même, si l’on a commencé de comprendre ce que nous essayons de faire dans ce journal, l’un ne s’entend pas sans l’autre. Mais, ici comme ailleurs, il y a un ton à trouver, sans quoi tout est dévalorisé. »
Albert CAMUS, « Actuelles I, Le journalisme critique » Combat, 8 septembre 1944) édit. La Pléiade, Gallimard, p. 266